EA 7347 HISTARA

Histoire de l’art,

des représentations et de

l’administration en europe

Livraisons d'histoire de l'architecture

N°34 : « Le bois »

Les Livraisons d’histoire de l’architecture, de leur nom complet Livraisons d’histoire de l’architecture et des arts qui s’y rattachent, ont pour objectif de publier des travaux inédits d’étudiants avancés et de jeunes chercheurs. La revue a été lancée à l’initiative de Jean-Michel Leniaud et de Béatrice Bouvier en 2001 avec la collaboration d’étudiants, doctorants ou non, issus de l’École pratique des hautes études, de l’École des chartes et de l’École du Louvre.

Bisannuelle, la revue s’attache à publier des numéros thématiques dans lesquels sont insérées, le cas échéant, quelques études en varia. On y trouve aussi des actualités sur la recherche en histoire de l’architecture, des comptes rendus bibliographiques et la biographie des auteurs. Longtemps consultables sur le site de l’Ecole nationale des Chartes, les Livraisons d’histoire de l’architecture sont aujourd’hui accueillies par Histara que nous remercions chaleureusement.

La « filière bois » est réputée appartenir aujourd’hui au groupe des parents pauvres des industries du monde rural. Pour le comprendre on peut invoquer les forêts mal ou sous-entretenues, mal et sous-exploitées, les matières premières aussitôt coupées, aussitôt vendues en Espagne et au Portugal où, grâce à une main-d’œuvre moins coûteuse, elles sont transformées en meubles en partie destinés au marché français, l’industrie du bâtiment prisonnière des fabricants de béton. Pourtant, le bois fait l’objet des techniques les plus élaborées : après le lamellé-collé dont l’origine remonte à Philibert Delorme mais dont le procédé est perfectionné en 1890 par un charpentier allemand, Otto Hetzer, puis breveté de 1906 à 1907, le bois lamellé-croisé (cross laminated timber) offre des portées considérables (vingt mètres de long sur quatre mètres de large). On le trouve employé depuis la seconde moitié du XXe siècle dans des édifices majeurs : à l’église Stella-Matutina à Saint-Cloud comme au Palais de l’Europe à Strasbourg. Il fait l’objet des sollicitudes des pouvoirs publics qui incitent à l’employer dans la construction privée : l’Exposition internationale du bois organisée à Lyon en donne, en 1951, un bel exemple, mais aussi l’exposition coloniale internationale de Paris en 1931, celle de 1937 et toutes les expositions universelles qui suivirent depuis 1950. Le bois, cependant, suscite aussi des réactions hostiles : l’emploi massif de bois exotiques, aux marches qui conduisent à la Bibliothèque nationale de France, par exemple, ne peut qu’être mis en rapport avec la terrible déforestation de l’Amazonie et de l’Afrique équatoriale. De l’autre côté du monde, la destruction par l’État polonais de la forêt de Bialowieza, forêt naturelle parmi les mieux conservées d’Europe, suscite le courroux de la Commission européenne. Le bois fait entrer la construction dans l’ordre du mystère : l’art du charpentier, l’art du trait, le savoir intuitif de celui qui sait « s’orienter », qui a fait l’objet d’une inscription en 2009 sur la liste du patrimoine culturel de l’humanité, tourne l’architecture du côté des mythes fondateurs. Ce n’est pas un hasard si, en plein Second Empire, au temps des ingénieurs saint-simoniens, d’ailleurs non moins mystiques, le charpentier Bellu place les flèches de la Sainte-Chapelle et de Notre-Dame de Paris dont ses compagnons sont les auteurs collectifs, sous l’invocation du Grand Architecte de l’Univers. Mais avec ses savoir-faire plus ou moins secrets qui se transmettent de bouche de compagnon à oreille d’apprenti, avant qu’ils ne donnent le contenu de savants traités, tel celui de Nicolas Fourneau (1767), le travail du charpentier place le travail technique sous l’angle d’une réflexion intellectuelle approfondie : il en faut pour concevoir un « trait de Jupiter » qui vienne raccorder deux poutres de façon qu’en n’en formant qu’une, elles assument un rôle porteur. Reste que la science, comme il arrive toujours dans la sphère du savoir faire, ne peut pas se substituer à l’intuition, à la mémoire de l’œil et des mains, au métier quotidien : « L’Orient vaut le trait ». Dans le concret, il faut au départ posséder la pratique et la science du forestier : il sait planter les arbres et les laisser croître, les choisir et les couper au bon moment. On connaît l’anecdote racontée par l’abbé Suger lorsqu’il se rend personnellement choisir sur place les arbres pour son abbatiale de Saint-Denis : en dépit du scepticisme moqueur des forestiers, il finit par trouver dans la forêt royale de l’Yveline les douze grands arbres dont il a besoin. Il faut encore organiser le mode d’acheminement des fûts dont l’encombrement est sans commune mesure avec celui des blocs de pierre extraits de la carrière ; savoir les laisser vieillir avant emploi, c’est-à-dire consentir à les stocker longtemps à ses risques et à ses frais. Il faut encore les débiter en fonction des capacités de chaque tronc, mais aussi des besoins de l’activité du bâtiment. Il faut encore savoir les acheter en évitant les vices cachés : les insuffisances de la marine royale au XVIIIe siècle face à la marine britannique sont imputables souvent à des bois mal choisis ou payés insuffisamment cher. Quant au Journal de Pierre-François-Léonard Fontaine, il fourmille de récriminations à l’encontre d’entrepreneurs qui mettent en œuvre des bois qui, mal débarrassés de leur sève, deviennent rapidement véreux. On croise aussi dans les mêmes pages un milieu particulièrement turbulent et prompt à la grève au point qu’il contribua à sa propre disparition : la charpenterie métallique était plus fiable. Au reste, la poutraison industrielle répondait à la rationalisation du chantier en offrant un matériel préfabriqué et dûment normé. Le bois, en dépit des trésors d’intelligence qu’impliquait sa mise en œuvre, ne permettait pas la normalisation de la construction. Si on met à part le chalet suisse avec ce qu’il supposait de préfabrication, de démontabilité et d’aptitude à l’industrialisation et à l’exportation, il fallut attendre l’invention du lamellé-collé et l’emploi des colles d’assemblage adéquates pour que le défi que lançait l’architecture normalisée pût être relevé. Jean Prouvé avec son pan de bois industriel, le moins connu Jean-Pierre Watel avec son prototype de maison en bois en donnent l’exemple. Aujourd’hui l’avenir du bois dans l’architecture et dans la construction reste incertain. L’œil ne semble pas encore las des assemblages de verre, de métal et de béton, les économistes du bâtiment ne semblent pas émus outre mesure des dépenses énergétiques qu’ils occasionnent, les donneurs d’ouvrages n’incluent pas le bois dans leurs consignes de programmation lors des concours qu’ils lancent, l’imagination plastique des architectes y trouve rarement son aliment. Pourtant, jamais ce matériau n’a offert autant de ressources et répondu à autant d’enjeux : structurels, écologiques, symboliques. Le retour généralisé du bois dans l’architecture, une utopie ? L’histoire du matériau naturel n’est certainement pas parvenue à son point final.

 

J.-M. L.

« Une vision économique du bois chez les théoriciens des Temps modernes ? Une vision pratique », par Hélène Rousteau-Chambon

« Une postérité pour Nicolas Fourneau, maître charpentier et savant ouvrier », par François Calame

« Les enjeux intellectuels et esthétiques de la technique dans les expertises de l’Académie royale d’architecture (1750-1790) », par Valérie Nègre

« L’église paroissiale de Lavancia-Epercy : un exemple unique d’architecture préfabriquée », par Sybille Lacroix

« Le renouveau de l’architecture de bois en France, 1965-1985 », par Stéphane Berthier

« La place de la charpente de bois lamellée dans les Expositions universelles et internationales depuis 1990 », par Charles-Édouard Guilbert-Røed

« Les savoirs des « Bois Debout » : le Trait et l’Orient », par Nicolas Adell

« L’activité d’un architecte diocésain », par Delphine Goutierre

« Une vision économique du bois chez les théoriciens des Temps modernes ? Une vision pratique », par Hélène Rousteau-Chambon

Les textes théoriques, les conférences et les leçons enseignées à l’Académie royale d’architecture se reflètent dans les constructions pratiques et dans l’utilisation du bois. À une connaissance parfaite du matériau, ils ajoutent des outils mathématiques et juridiques qui permettent une meilleure maîtrise de la construction. Ce sont les prémisses de l’industrialisation des siècles suivants.

 

« Une postérité pour Nicolas Fourneau, maître charpentier et savant ouvrier », par François Calame

L’art du Trait de charpente est en France une discipline majeure dans le monde de la construction, reconnue par l’UNESCO. Pratiqué depuis le Moyen Âge par les charpentiers, ce moyen de connaître la géométrie complexe des pièces de bois et de leurs assemblages ne doit rien au savoir savant de l’architecte et de l’ingénieur. Une figure majeure de cet art fut Nicolas Fourneau, maître charpentier, qui publia en 1766 à Rouen le premier traité français conçu par un professionnel. Deux jeunes compagnons du tour de France ont rendu un hommage à ce maître en reconstituant à l’hiver 2016-2017 la pièce centrale qu’avait conçue Fourneau.

 

« Les enjeux intellectuels et esthétiques de la technique dans les expertises de l’Académie royale d’architecture (1750-1790) », par Valérie Nègre

L’article prolonge les réflexions récentes sur les expertises techniques de l’Académie d’architecture en étendant l’observation aux discours et aux pratiques des inventeurs qui la sollicitent. Les procédés d’assemblage des bois proposés par le charpentier du roi Jean Claude François Taboureux en 1753 et 1789 offrent l’occasion de confronter différents avis de spécialistes de l’architecture : entrepreneurs du roi, experts jurés, maîtres de forge, et d’autres institutions de premier plan, comme la Compagnie des architectes experts. Il s’agit de montrer par cette approche l’effet déformant que peut produire l’étude de sources exclusivement tirées des institutions architecturales. Le parti permet de révéler les enjeux professionnels, intellectuels et esthétiques de la technique.

 

« L’église paroissiale de Lavancia-Epercy : un exemple unique d’architecture préfabriquée », par Sybille Lacroix

En 1951, lors de l’Exposition internationale du Bois à Lyon, une église-pavillon est réalisée par les Établissements Chalos de Saint-Brieuc, entreprise spécialisée dans la construction de bâtiments préfabriqués et importatrice de bois. Édifice de démonstration destiné à valoriser les usages possibles du matériau, l’église de Lavancia-Epercy et son mobilier sont constitués de dix-sept essences de bois rares provenant du monde entier. Simple et épurée, sa forme s’inspire de l’architecture nordique des années 1930 avec son ordonnance intérieure d’arcs diaphragmes paraboliques. À l’issue de l’exposition, elle est démontée et remontée à Lavancia-Epercy, village martyr du Jura, en 1952. À la fois pavillon unique et construction préfabriquée, elle présente le paradoxe d’allier noblesse de ses matériaux constitutifs et simplicité et rapidité de montage, ce qui en fait un modèle unique en France.

 

« Le renouveau de l’architecture de bois en France, 1965-1985 », par Stéphane Berthier

L’architecture de bois renaît en France au milieu des années 1960 grâce aux travaux d’architectes comme Pierre Lajus, Roland Schweitzer et Jean-Pierre Watel. Leur principal succès est d’avoir su renouveler le genre en proposant une architecture moderne et attractive quand les préjugés populaires à l’égard du matériau le cantonnaient aux habitats précaires et autres cabanes. Mais ce renouveau fut aussi l’occasion de repenser les conditions de production de la construction bois et de jeter les bases d’une nouvelle filière bois industrialisée. Leur architecture est presque exclusivement fondée sur la technologie de l’ossature bois légère, descendante directe de la charpente américaine dite balloon frame. Ils s’engagèrent dans un travail de développement expérimental d’une technologie produite artisanalement outre-Atlantique pour l’adapter à une production industrielle en France. Les vingt années que couvrent leurs recherches sur la construction en bois donnent l’occasion d’étudier l’architecture comme foyer d’expérimentation des innovations techniques.

 

« La place de la charpente de bois lamellée dans les Expositions universelles et internationales depuis 1990 », par Charles-Édouard Guilbert-Røed

L’étude de la charpente des pavillons des Expositions universelles et internationales révèle que cette dernière a constitué une source de renouvellement de l’architecture. Lieux de recherche architecturale, les expositions permettent le développement du matériau. À travers ces pavillons naît une corrélation entre les formes architecturales et les techniques de charpente, en particulier le lamellé-collé. Grâce aux capacités techniques et esthétiques qui lui sont propres, cette technique signe le renouveau de la construction en bois, de la charpente et de sa visibilité au cours des XXe et XXIe siècles. La charpente lamellée-collée constitue une source principale pour l’étude des pavillons des Expositions universelles et internationales.

 

« Les savoirs des « Bois Debout » : le Trait et l’Orient », par Nicolas Adell

Les compagnons charpentiers (les « Bois Debout » dans le compagnonnage) ont élaboré depuis le XIXe siècle une division de leurs savoirs en deux catégories : le Trait, géométrie descriptive qui signifie en même temps le versant théorique et intellectuel du savoir, et l’Orient, qui est la dimension irréductiblement pratique de tout savoir-faire. Cet article vise à montrer les façons dont ces catégories sont mobilisées par les compagnons charpentiers, les modes de transmission des connaissances qu’elles impliquent, et la culture de métier qu’elles révèlent.

 

« L’activité d’un architecte diocésain », par Delphine Goutierre

Pierre Félix Delarue (1795-1873) fut architecte du département de la Sarthe de 1824 à 1864. À ce titre, il fut également architecte diocésain de ce même département jusqu’en 1849, chargé notamment des travaux d’entretien et de restauration de la cathédrale Saint-Julien du Mans. Depuis quelques années, celle-ci fait l’objet de campagnes de restauration qui se situent tant en rupture qu’en continuité avec l’action de Delarue à Saint-Julien. L’un des derniers projets en date concerne la restauration du programme sculpté encadrant le portail du porche méridional de la cathédrale, cette restauration faisant suite à la modification en 2008 du couronnement de ce même porche, réalisé en 1840-1841 par Delarue. Cet article aborde la question du devenir du porche méridional de Saint-Julien du Mans au XIXe siècle comme constituant, parmi tant d’autres aspects, une illustration du champ d’intervention d’un architecte diocésain dans le contexte des politiques patrimoniales de conservation et de restauration monumentale de la première moitié du XIXe siècle, et des réponses qu’elles ont pu apporter aux problématiques urbaines de leur temps.