EA 7347 HISTARA

Histoire de l’art,

des représentations et de

l’administration en europe

Une œuvre de la Bibliothèque Républicaine Numérique

Association patriotique
L'Almanach neuchâtelois pour 1849
La Chaux-de-Fonds, 1848
Présenté par Olivier Lamon
Bibliographie

Jean-Marc Barrelet, Histoire du canton de Neuchâtel. La création d’une république : de la révolution de 1848 à nos jours, Neuchâtel, Alphil, 2011.

François de Capitani, « Almanachs » dans Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), [en ligne], 2001.

Jean-Pierre Chuard, « La presse neuchâteloise, de la pluralité à la concentration des titres », Musée Neuchâtelois. Revue d’histoire régionale fondée en 1864, 1986, n° 4, p. 167-186.

Nathalie Dahn-Singh, « Former de bons et utiles citoyens ». L’éducation du peuple à la citoyenneté dans deux cantons romands (1815-1860), thèse de doctorat, Université de Lausanne, 2019.

Chantal Etique, Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel : un almanach populaire (1805-1875). Discours politique et édification, mémoire de master, Université de Neuchâtel, 1992.

Ronald Gosselin, Les Almanachs républicains : traditions révolutionnaires et culture politique des masses populaires de Paris (1840-1851), Paris, L’Harmattan, 1993.

Cédric Humair, 1848. Naissance de la Suisse moderne, Lausanne, Antipodes, 2009.

Aimé Humbert, Alexis-Marie Piaget d’après sa correspondance et la République neuchâteloise de 1848 à 1858 : histoire documentaire complète jusqu’au Traité de Paris et à la promulgation de la seconde Constitution neuchâteloise, Neuchâtel, Attinger, 1888-1895.

Léon Montandon, François Faessler, Alfred Schnegg, Louis-Édouard Roulet (dir.), Neuchâtel et la Suisse. Ouvrage publié par le Conseil d’État de la République et Canton de Neuchâtel à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’entrée de Neuchâtel dans la Confédération, Neuchâtel, Chancellerie d’État, 1969.

Pierre-Yves Tissot, « Les débuts de l’imprimerie dans les montagnes neuchâteloises, des origines à 1848 », dans Jacques Rychner et Michel Schlup (dir.), Aspects du livre neuchâtelois. Études réunies à l’occasion du 450e anniversaire de l’imprimerie neuchâteloise, Neuchâtel, BPU, 1986.

Rémy Scheurer (éd.), Histoire du Conseil d’État neuchâtelois, des origines à 1945, Neuchâtel : Conseil d’État de la République et Canton de Neuchâtel, 1987.

Martine Sonnet, « Les almanachs politiques parus pendant la Révolution française », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1980, n°1, p. 5-10.

 

Le 1er mars 1848 éclata à Neuchâtel l’une des seules révolutions du Printemps des peuples dont le succès se pérennisa sans discontinuité. Elle dota le canton d’un gouvernement républicain et contraint le roi de Prusse à délier ses sujets de leur serment – Neuchâtel possédant jusqu’en 1848 le double statut exceptionnel de principauté du royaume de Prusse (depuis 1707) et de canton suisse (depuis 1814/5).

Cette insurrection, brève et sans effusion de sang, prit forme dans les montagnes neuchâteloises et le Val-de-Travers au matin du 1er mars. Galvanisées par les nouvelles parisiennes annonçant la proclamation de la Seconde République, plusieurs centaines de patriotes, dirigées par Fritz Courvoisier (1799–1854), se mirent en marche, s’emparèrent le soir même du château de Neuchâtel où siégeait le Conseil d’État, et proclamèrent la République. Le pouvoir monarchique fut immédiatement remplacé par un gouvernement provisoire de dix membres placés sous l’autorité d’Alexis-Marie Piaget (1802–1870).

Les patriotes fondèrent dix jours plus tard à La Chaux-de-Fonds Le Républicain neuchâtelois, journal devant porter la voix de la révolution et préparer les élections de la fin du mois. Très majoritaires au sein d’une Assemblée constituante ne comptant qu’un royaliste, ils formèrent le 9 avril, encore à La Chaux-de-Fonds, l’Association patriotique. Ce proto-parti, réunissant des hommes aux diverses sensibilités, mais tous mus par l’attachement à la Suisse et la volonté de démocratiser les institutions cantonales, cherchait avant tout à assurer le triomphe de la république auprès des populations locales grâce, notamment, à la création de comités de districts. De concert avec le pouvoir exécutif, les députés constituants dotèrent enfin la jeune république d’une constitution démocratique, acceptée par les Neuchâtelois le 30 avril.

 

 

L’entrée en vigueur de cette constitution ne fit pas renoncer le roi de Prusse à ses droits sur Neuchâtel ; les royalistes locaux n’étaient qu’étourdis par le renversement du pouvoir. Les anciens constituants républicains, devenus députés au Grand Conseil cantonal, redoublèrent alors d’efforts pour consolider leur jeune et fragile république. C’est dans cette perspective que l’Association patriotique patronna dès la fin 1848 la publication de l’Almanach neuchâtelois, « almanach populaire et républicain ». Rédigé, selon la couverture, par quelques patriotes, imprimé à La Chaux-de-Fonds chez Ferdinand Heinzely (également imprimeur du Républicain neuchâtelois) et tiré – à en croire une circulaire de l’Association citée par Pierre-Yves Tissot – à plusieurs milliers d’exemplaires, la publication reprit les codes traditionnels du genre de l’almanach.

Attesté dès le XVe siècle dans l’espace helvétique, l’almanach est un calendrier des fêtes religieuses de l’année à venir (almanach signifiant étymologiquement « l’année prochaine »), agrémenté d’histoires récréatives et d’indications astrologiques à l’usage de l’agriculture. À la faveur d’améliorations techniques qui permirent de réduire les coûts d’impression et de reproduction et donc le prix de vente, l’almanach connut un essor considérable au XIXe siècle. Conçu comme un vecteur privilégié pour s’adresser au peuple, l’almanach fut de fait investi par les questions politiques. Des almanachs politiques se multiplièrent dès la Révolution française – le plus célèbre d’entre eux étant sans doute l’Almanach du Père Gérard –, puis au milieu du XIXe siècle.

Adoptant les caractéristiques et rubriques propres au genre (calendrier, astrologie, anecdotes historiques, etc.), l’Almanach neuchâtelois les investit d’une dimension politique indéniable : la nouvelle constitution cantonale y est reproduite et les historiettes récréatives sont remplacées par un historique de l’insurrection du 1er mars, un examen des droits de la maison prussienne de Brandebourg sur la principauté de Neuchâtel, un historique de la guerre du Sonderbund, ou encore une notice biographique de l’avocat Auguste Bille (républicain décédé quelques mois après la révolution). Dessiné par Henri Marthe et lithographié par Antoine Kobelt, le frontispice de l’almanach exprime limpidement le programme politique de l’Association patriotique : la république neuchâteloise dans la Confédération suisse. Sous un écusson neuchâtelois surmonté d’une croix fédérale rayonnante, une allégorie féminine de la République de Neuchâtel, à la position et aux traits évoquant des mises en images contemporaines d’Helvétia, trône sur une représentation du château de Neuchâtel. Elle tient dans sa main droite un faisceau des licteurs et dans sa main gauche un piquet surmonté du chapeau de Gessler, référence explicite au mythe helvétique de Guillaume Tell. Cette scène allégorique est entourée d’un porche ornementé de compositions florales, incrustées d’outils industriels et agricoles qui évoquent la prospérité économique promise par le nouveau régime, d’un phylactère où l’on lit « 1er mars 1848 / Tout pour le peuple et par le peuple », et de noms de batailles et figures célèbres de l’histoire suisse et neuchâteloise, parmi lesquelles l’horologer Henri-Louis Jaquet-Droz (1752-1791) et le peintre Léopold Robert (1794-1835). La présence de ces Neuchâtelois de renommée internationale témoigne de la visée démopédique de l’Almanach.

 

 

La question éducative était effectivement cruciale aux yeux des patriotes neuchâtelois qui, grâce à l’almanach, entendaient encourager l’instruction générale de la population cantonale en proposant des notions d’histoire, de géographie, de mathématiques, ou encore de technologie. Dans l’introduction ici transcrite, les auteurs de l’Almanach neuchâtelois pour 1849 affirment : « Au lieu de ces anecdotes triviales, insipides, souvent fausses et toujours inutiles qui remplissent les pages des autres almanachs, nous vous offrirons, par forme de récréation, quelques traits intéressants de l’histoire suisse, la description d’un district quelconque de notre canton, des récits de voyages, des détails sur les mœurs et les coutumes des différents peuples de la terre, des notions de géographie, d’histoire, etc. ». La cible des critiques est ici Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel, almanach paraissant depuis 1805, accusé d’entretenir la superstition et, partant, l’ignorance de la population.

La promotion de cette instruction générale était consubstantielle à celle de l’instruction civique. L’Almanach ambitionnait d’offrir au peuple, et plus particulièrement « aux bons habitants des campagnes », des « idées saines sur les droits et les devoirs du citoyen », sur « les connaissances et les écrits nécessaires pour faire comprendre et pratiquer ces devoirs » dans le but de « propager parmi eux des lumières utiles, des opinions libérales et de leur inspirer le goût des vertus républicaines ». Selon les patriotes, l’éducation de la population aux nouvelles normes démocratiques et républicaines était en d’autres termes un bien d’utilité publique, conjuguant le bonheur individuel de chacun au bien commun de la res publica. Cette visée s’inscrivait dans un projet plus global de régénération morale de la société : « nous nous occuperons aussi avec sollicitude de la partie principale et fondamentale de l’instruction populaire, qui est la morale, ou la connaissance des devoirs de l’homme comme membre d’une famille, citoyen d’un état, ou comme faisant partie de la grande famille du genre humain. C’est la science par excellence, puisqu’elle est le fondement le plus solide du bonheur de l’homme et le lien de la société ». L’Almanach neuchâtelois était ainsi en parfaite adéquation avec d’autres pédagogies de régénération morale alors menées, comme l’a récemment montré Nathalie Dahn-Singh, dans les cantons de Vaud et de Fribourg.

Paru pour les années 1849 à 1851, puis pur l’année 1855, l’Almanach neuchâtelois s’éteignit avec la dissolution de l’Association patriotique cette même année. Dans un contexte politique marqué par la montée en puissance des royalistes et l’affaire de Neuchâtel, la Société neuchâteloise d’utilité publique parvint cependant à le relancer quelques mois plus tard sous le titre Almanach de la République et canton de Neuchâtel.

Les almanachs sont presque les seuls livres dont se compose la bibliothèque des gens du peuple, de ces utiles citoyens qui forment le gros de la nation ; les uns manquent de loisir pour en lire d’autres, ou n’ont aucun goût pour la lecture ; quelques-uns aussi sont privés des lumières nécessaires pour les comprendre. Ces almanachs, qui pourraient être d’une si grande utilité, sont pour la plupart bien imparfaits encore, malgré quelques améliorations que l’on y a apportées depuis peu ; ils sont rédigés en général dans un esprit contraire à celui que leurs auteurs devraient se proposer : l’on ne peut donc trop se hâter d’y porter remède et de donner à ces productions la forme et les tendances que notre état politique actuel, les besoins de la société et le degré de civilisation auquel nous sommes parvenus, réclament impérieusement.

 

 

Serait-il vrai, comme quelques-uns ont osé le dire, que le peuple veut être trompé, qu’il est dangereux de l’éclairer ? Nous sommes loin de le croire. Les défauts que l’on remarque en lui ne seraient-ils point une conséquence nécessaire d’un manque de lumières chez les uns et d’une coupable apathie chez d’autres ? Instruisez, éclairez ceux qui ont besoin de l’être ; chercher à améliorer le sort de ceux qui sont dans le besoin, aidez, encouragez ceux que la misère fait tomber dans la paresse et le découragement : efforcez-vous de retirer du vice et surtout de la boisson qui les abrutit, ceux qui ont ce honteux penchant, et vous parviendrez à en faire des hommes laborieux et honnêtes, des citoyens utiles, des membres recommandables de la société.

Constamment animés du désir d’être utiles et de faire marcher leurs concitoyens dans la voie du progrès, quelques citoyens neuchâtelois ont pris la résolution de répandre non-seulement des idées saines sur les droits et les devoirs du citoyen, mais encore les connaissances et les écrits nécessaires pour faire comprendre et pratiquer ces devoirs. C’est dans cette vue encore qu’ils ont conçu l’idée de fonder un almanach populaire et républicain ; ils ont pensé qu’un bon ouvrage de ce genre serait un cadeau précieux à faire aux bons habitants des campagnes, un moyen efficace de propager parmi eux des lumières utiles, des opinions libérales, et de leur inspirer le goût des vertus républicaines.

Le peuple neuchâtelois est parvenu, nous le savons, à un degré de civilisation supérieur à celui des pays qui nous avoisinent ; l’instruction qu’il reçoit est satisfaisante sous plusieurs rapports ; mais à d’autres égards, et surtout relativement à l’éducation du citoyen, combien nous sommes encore arriérés !… que de préjugés à vaincre !… que d’erreurs à déraciner !… Quelle lacune à combler !…

C’est donc à vous, chez concitoyens, que cet almanach est destiné. Recevez-le comme une marque du vif intérêt que nous prenons à votre bien-être et à tout ce qui vous intéresse. Nous nous efforcerons d’être clairs, concis, de nous mettre à la portée de toutes les intelligences et de livrer chaque exemplaire de cet utile ouvrage à un prix si modique, que même les plus pauvres puissent se le procurer. Il ne contiendra, dans sa partie astronomique, que ce qu’il est nécessaire de savoir relativement à la mesure du temps et à l’ordre des saisons. Destiné à toutes les conditions, à toutes les classes de la société, il l’est sans doute aux agriculteurs, et nous nous occuperons aussi de divers objets qui se rattachent plus ou moins directement à cet art nourricier, malheureusement trop négligé, trop abandonné dans quelques parties de notre pays, où l’on pourrait cependant s’y livrer plus généralement, afin d’y trouver une ressource assurée contre les vicissitudes auxquelles les arts industriels sont sujets.

 

 

Au lieu de ces anecdotes triviales, insipides, souvent fausses et toujours inutiles qui remplissent les pages des autres almanachs, nous vous offrirons, par forme de récréation, quelques traits intéressants de l’histoire suisse, la description d’un district quelconque de notre canton, des récits de voyages, des détails sur les mœurs et les coutumes des différents peuples de la terre, des notions de géographie, d’histoire, etc.

En cherchant à intéresser votre esprit, en vous communiquant les découvertes utiles qui se feront dans le monde, nous apporterons un soin particulier à vous entretenir de la Constitution de notre chère patrie, des lois dont l’autorité législative va la doter, et que tout citoyen doit se faire un devoir d’étudier et de connaître : ce sera là une partie essentielle de notre tâche. Mais en nous efforçant de la remplir de notre mieux, nous nous occuperons aussi avec sollicitude de la partie principale et fondamentale de l’instruction populaire, qui est la morale, ou la connaissance des devoirs de l’homme comme membre d’une famille, citoyen d’un état, ou comme faisant partie de la grande famille du genre humain. C’est la science par excellence, puisqu’elle est le fondement le plus solide du bonheur de l’homme et le lien de la société.

 


Jean-Marc Barrelet, Histoire du canton de Neuchâtel. La création d’une république : de la révolution de 1848 à nos jours, Neuchâtel, Alphil, 2011.

François de Capitani, « Almanachs » dans Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), [en ligne], 2001.

Jean-Pierre Chuard, « La presse neuchâteloise, de la pluralité à la concentration des titres », Musée Neuchâtelois. Revue d’histoire régionale fondée en 1864, 1986, n° 4, p. 167-186.

Nathalie Dahn-Singh, « Former de bons et utiles citoyens ». L’éducation du peuple à la citoyenneté dans deux cantons romands (1815-1860), thèse de doctorat, Université de Lausanne, 2019.

Chantal Etique, Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel : un almanach populaire (1805-1875). Discours politique et édification, mémoire de master, Université de Neuchâtel, 1992.

Ronald Gosselin, Les Almanachs républicains : traditions révolutionnaires et culture politique des masses populaires de Paris (1840-1851), Paris, L’Harmattan, 1993.

Cédric Humair, 1848. Naissance de la Suisse moderne, Lausanne, Antipodes, 2009.

Aimé Humbert, Alexis-Marie Piaget d’après sa correspondance et la République neuchâteloise de 1848 à 1858 : histoire documentaire complète jusqu’au Traité de Paris et à la promulgation de la seconde Constitution neuchâteloise, Neuchâtel, Attinger, 1888-1895.

Léon Montandon, François Faessler, Alfred Schnegg, Louis-Édouard Roulet (dir.), Neuchâtel et la Suisse. Ouvrage publié par le Conseil d’État de la République et Canton de Neuchâtel à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’entrée de Neuchâtel dans la Confédération, Neuchâtel, Chancellerie d’État, 1969.

Pierre-Yves Tissot, « Les débuts de l’imprimerie dans les montagnes neuchâteloises, des origines à 1848 », dans Jacques Rychner et Michel Schlup (dir.), Aspects du livre neuchâtelois. Études réunies à l’occasion du 450e anniversaire de l’imprimerie neuchâteloise, Neuchâtel, BPU, 1986.

Rémy Scheurer (éd.), Histoire du Conseil d’État neuchâtelois, des origines à 1945, Neuchâtel : Conseil d’État de la République et Canton de Neuchâtel, 1987.

Martine Sonnet, « Les almanachs politiques parus pendant la Révolution française », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1980, n°1, p. 5-10.

 

Association patriotique, L’almanach neuchâtelois pour 1849. Introduction, [La Chaux-de-Fonds, 1848], présenté par Olivier Lamon, dans Olivier Christin et Alexandre Frondizi (dir.), Bibliothèque numérique du projet Républicanismes méridionaux, UniNe/FNS, 3 décembre 2020, URL : https://unine.ch/republicanism/home/bibnum/almanachs/1.html