Projet Lauréat PSL-Columbia 2018 :
Yves Cattin, « Autorité et pouvoir selon Thomas d’Aquin », in Emmanuel Cattin, Laurent Jaffro et Alain Petit (dir.), Figures du théologico-politique, Paris, Vrin, 1999, p. 25-40.
Ugo Foscolo, L’Italie et la Révolution française, textes recueillis par Enzo Neppi, Grenoble/Vizille, Presses Universitaires de Grenoble/Musée de la Révolution française, 2004.
Antonio Francesco, « La Révolution française hors de France : quelques perspectives de recherche sur l’historiographie italienne entre XIXe et XXe siècle », Annales historiques de la Révolution française, 2003, n° 334, p. 105-118.
Luciano Guerci, « Aspects du débat sur l’Égalité durant le Triennio républicain », Annales historiques de la Révolution française, 1998/3, n° 313, p. 409-430.
Luciano Guerci, « Les Catéchismes républicains en Italie (1796-1799) », dans Jean-Charles Buttier et Émilie Delivré (dir.), La Révolution française. Les catéchismes républicains, 2009/1 [en ligne].
Gérard Pelletier, Rome et la Révolution française. La théologie et la politique du Saint Siège devant la Révolution française, 1789-1799, Rome, École française de Rome, 2004.
Anna Maria Rao, « L’expérience révolutionnaire italienne », Annales historiques de la Révolution française, 1998/3, n° 313, p. 387-407.
Glauco Schettini, « Confessional Modernity: Nicola Spedalieri, the Catholic Church and the French Revolution », Modern Intellectual History, 2020/3, p. 677-705.
Pierre Serna (dir.), Républiques sœurs. Le Directoire et la Révolution atlantique, Rennes, PUR, 2009.
« Je suis républicain » proclame Francesco-Maria Bottazzi au moment de clore ce catéchisme publié en 1798 à Rome, mis en 1804 à l’index et répertorié en 1847 dans le Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes de François-André-Adrien Pluquet. Le préambule esquisse très bien le contexte agité dans lequel l’auteur intervint en rendant hommage aux troupes françaises conduites par le général Berthier qui, à la suite de l’assassinat du général Duphot en décembre, s’emparèrent de Rome, déposèrent le pape Pie VI et proclamèrent le 15 février 1798 la République sœur dont Daunou, Monge et quelques révolutionnaires locaux posèrent rapidement les bases. L’adresse au lecteur permet de retracer les origines intellectuelles d’un républicanisme qui se présente comme la défense des droits de l’homme et de la souveraineté populaire, principes universalistes placés au cœur du catéchisme. Elle se réfère explicitement au prêtre, philosophe et théologien Nicola Spedalieri (1740-1795) et à ses Diritti dell uomo ne’quali si dimostra che la piu sicura custodia de medisemi nella societa civile e la religione cristiana(Rome, 1791), un livre qui avait fait scandale – 25 réfutations parues avant 1797 – par sa légitimation de certaines formes de résistance à un prince qui commencerait à « détruire les droits naturels de chacun, à substituer le caprice à la loi et à plonger ses pauvres sujets dans la misère », mais que le propre Bottazzi avait défendu dans son Nemico del trono mascherato nelle lettere teologico-politiche sulla presente situazione delle cose ecclesiastiche (Rome, 1794).
Dans cet ouvrage, Spedalieri réagissait à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qu’il avait d’ailleurs commentée dès décembre 1789 devant l’Académie d’Arcadie. Il proposait, en somme, une réponse catholique renouant avec les enseignements de ceux qui, comme Thomas d’Aquin, Suarez ou Bellarmin, avaient insisté sur l’origine contractuelle et donc humaine de la souveraineté sans pour autant écarter une origine divine de l’institution ecclésiale. L’essentiel était pour lui de rejeter la fiction théorique de l’état de nature et d’établir que « l’état auquel l’homme est destiné par la nature est celui de la société civile » et « que l’homme ne peut donc renoncer à la société civile sans s’opposer à sa propre nature ». Le théologien abordait successivement, dans le livre I, l’aspiration de l’homme au bonheur, les droits naturels, les devoirs et obligations des hommes entre eux, les origines de la société civile, les types de régime, avec notamment quelques propositions essentielles sur la conformité de la société civile à la nature de l’homme, sur le libre choix de la forme de gouvernement, sur le droit de s’affranchir d’une forme de gouvernement qui entrerait en conflit avec les droits légitimes de l’homme, ou encore sur la religion catholique comme plus sûre gardienne de la bonne marche de la société civile.
Même si ses positions s’éloignent parfois de celles de Spedalieri, notamment dans son refus de l’alliance du trône et de l’autel, Bottazzi affirme dans son catéchisme rester fidèle à cette influence. Il s’y présente en éducateur du peuple auquel il prétend apporter la lumière en dénonçant les fausses idées entretenues par les défenseurs de l’ordre ancien. Le catéchisme comporte dix-sept chapitres, tous destinés à éclaircir les notions essentielles sur lesquelles se fonde le nouvel ordre socio-politique. De manière révélatrice, les occurrences du mot « République » sont plus faibles (16) que celles du mot « Droits » (85) ou du mot « Peuple » (50). Si sa préférence va à la république, en laquelle il voit la meilleure réalisation des droits de l’homme, Bottazzi privilégie la défense de la démocratie, elle innégociable et première par rapport aux diverses formes de gouvernement avec lesquelles elle pourrait être compatible.
La doctrine théologico-politique de Bottazzi l’inscrit parmi les jusnaturalistes qui, fidèles à l’eudémonisme aristotélicien transmis par saint Augustin, estimaient que le bonheur est la finalité naturelle de la raison et, plus largement, que la nature dote l’homme de droits inaliénables. Ces droits naturels étant universels, ils doivent être défendus par ce « lieu naturel de l’homme » qu’est la société voulue par Dieu (IV-3). Si le contrat social apparaît ainsi comme une nécessité d’essence divine, Bottazzi ne perd toutefois pas de vue l’adhésion des citoyens à leurs institutions politiques. Le droit procédant d’une loi naturelle immanente, le libre arbitre pourrait sembler amoindri par cet idéalisme ontologique. En réalité, la raison individuelle reprend l’initiative : les hommes scellent par contrat de justes rapports sociaux. La souveraineté, juridiction suprême confiée par le peuple à ses représentants, n’est à ces derniers acquise que lorsqu’ils veillent à l’intérêt général et donc à la défense d’un ordre social juste pour tous.
Par une réactivation de certaines idées de la tradition néo-romaine, Bottazzi insiste également sur le « perfectionnement de soi-même » et sur les vertus morales et intellectuelles. Chaque citoyen pouvant concourir au bien public et au gouvernement de l’État, moralité et civisme s’entremêlent, la vie privée irrigant l’action publique (I-4). L’enjeu est déterminant : Bottazzi invite les républicains à renouer avec un christianisme authentique pour atteindre l’idéal de perfection sur lequel se fonde la démocratie, le Christ offrant l’exemple le plus parfait de fraternité et des vertus civiques trahies par l’Ancien Régime dont le reversement apparaît donc légitime afin de restaurer l’égalité et la liberté perdues. La première, inhérente à chaque être humain car elle « vient de la Nature », rend certes insupportable « l’immense inégalité matérielle qui sévit tout particulièrement dans l’État romain » et le « spectacle de ces possessions par trop démesurées, acquises bien souvent par la fraude ». Elle ne doit pourtant pas être confondue avec sa manifestation sociale : « tous les hommes ont des droits égaux, mais ces droits ne se matérialisent pas de manière égale ». La réalisation concrète de l’égalité est donc relative aux talents dont chacun dispose et peut en cela justifier certaines inégalités profitables à la société : « l’inégalité est justement le moteur de l’ingéniosité, qu’elle aiguise et pousse à s’exercer ». La liberté, quant à elle, ne doit pas être confondue avec la licence de faire tout ce que l’on veut sans tenir compte d’autrui et de l’intérêt général : « Quelle serait donc cette véritable liberté ? Ce n’est rien d’autre que de pouvoir faire, tout en cherchant son propre bonheur, ce qui peut concilier la nature humaine et la vie en société. Il convient de le redire, la liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à faire volontairement notre devoir et à s’interdire ce que l’on ne doit pas désirer ».
Elles sont enfin dissoutes les chaînes imposées par la superstition, renforcées par le fanatisme et soutenues par l’ignorance. Vous avez contemplé le glorieux insigne de la liberté recouvrée, heureux de retrouver la noble devise. Vous avez vu s’établir un nouveau Gouvernement sur les ruines d’un Despotisme sacré et sur les bases incontestables de la Liberté et de l’Égalité. Vous avez observé, en même temps, joyeusement refleurir l’honorable, mais cruellement piétinée, plante des Droits de l’Homme. Chantez la gloire de l’invincible Nation française, de la grande République et du généralissime magnanime dont la force imposante vous a libéré sans terreur ni effusion de sang. Tout s’est effectivement déroulé dans une tranquillité, une paix et une quiétude enviables. Seule une poignée de scélérats tenta, après quelques jours, de semer le trouble et de rétablir les chaînes de l’ancienne servitude.
Si une puissance étrangère, considérant avec des yeux compatissants votre misérable servilité, n’était pas accourue pour vous tendre la main, tout espoir d’un nouveau début aurait été vain à cause du défunt gouvernement qui s’efforça jusqu’à l’agonie de renforcer vos chaînes par les moyens les plus retors. Aujourd’hui, vous êtes libres, vous êtes égaux, et vos droits ont été rétablis. Mais ne comptez pas en avoir fini. Il vous faut comprendre le sens exact de ce que vous venez de recouvrer. Souvent, à votre oreille, ont retenti ces mots sacrés : liberté, égalité et droits de l’Homme. Mais plus d’une fois, afin de satisfaire le caprice de quelques-uns, parés du manteau de la religion, ces mots vous ont été dépeints comme des marques de l’iniquité et, pire, de toutes les hérésies des siècles passés. D’aucuns, feignant l’ignorance, vous les présentaient comme autant de scélératesses. D’autres, guidés par leur fanatisme aveugle, les dénaturaient à vos yeux.
Dans un tel état de fait, le premier but vers lequel un républicain avisé et un patriote authentique doit diriger ses pensées est d’éclairer les esprits aveuglés, de dissiper les ténèbres éparses du fanatisme, de clarifier toutes ces notions et de les mettre à la portée du Peuple.
Moi-même, qui me suis toujours prévalu d’aimer la vérité et d’être un ennemi déclaré des impostures et du mensonge, je n’ai jamais pu entendre toux ceux-là sans frémir. J’attendais en silence le moment favorable pour manifester ostensiblement mes idées, et révéler publiquement la vérité dans toute sa beauté et sa simplicité originelles. Lançons-nous donc dans une telle entreprise. Voici donc, Citoyens, de quoi vous instruire ; voici le son majestueux de la raison ; voici la voix de la vérité. Écoutez-la, parce qu’elle saura vous éclairer sur les chemins tortueux, vous guider droit au but, vous ouvrir les yeux sur les déclarations creuses de ceux qui, tout en professant un enthousiasme fanatique pour la démocratie, manœuvrent contre elle. Faites en sorte de garder dans vos cœurs ces enseignements professés par un authentique citoyen qui ne veut que votre bien et votre bonheur et qui ne se soucie que de votre propre intérêt. Seule la vérité le guide. Salut et fraternité !
Au lecteur
Personne ne s’étonnera que je ne me sois pas trop longuement étendu sur un sujet aussi vaste. Les contraintes inhérentes à un catéchisme ne le permettaient pas : il est rédigé pour l’édification de citoyens peu instruits, dont l’ignorance est entretenue par ceux qu’inspire un fanatisme superstitieux. Les hommes sensés n’ont nul besoin de mes lumières. Mais ne soyons pas naïfs et reconnaissons que, même parmi ces derniers, il en est qui n’ont pas les idées claires et justes. C’est donc aussi à eux que s’adresse ce genre de littérature. J’ai la faiblesse de penser que mon catéchisme leur apportera également ses lumières. Il est très important de s’habituer à raisonner avec justesse, clarté et précision. Les erreurs et la confusion ruinent toute chose. Je peux me féliciter, à cet égard, d’avoir eu pour maître le sublime philosophe Spedalieri, autant pour nos échanges littéraires que pour l’amitié qui naquit entre nous dès ma première année à Rome et qui dura jusqu’à sa mort. Chacun sait que sa plume transformait la métaphysique la plus absconse en une nourriture digeste et adaptée à la capacité de tous. Je me suis efforcé de suivre son exemple, et je laisse au public le soin de juger si j’y suis parvenu. Il y a cinq ans, j’ai composé une Confirmation des Droits de l’homme pour défendre l’œuvre immortelle de cet insigne lettré. Mon ouvrage est tombé dans l’oubli jusqu’à maintenant, parce que le précédent gouvernement n’a pas pris le risque de se nuire en en autorisant l’impression.
On prendra également connaissance de ma doctrine en lisant les chapitres XII, XIII et XIV d’une autre de mes œuvres, intitulée L’ennemi du Trône. Le temps est venu où je m’apprête à la publier, afin de réhabiliter ce grand homme. Je dois aussi souligner que, dans plusieurs chapitres du présent catéchisme, je n’ai rien fait d’autre que d’emboîter le pas d’un si profond philosophe. Peut-on lui rendre plus bel hommage ? Je promets ici une œuvre fort instructive, consacrée à examiner la démocratie sous le rapport général et particulier. Mais que diront les Tamagna, les Bianchi, les Cuccagni[1], les Biagi, et tous les ardents contempteurs de Spedalieri et de ses Droits de l’Homme ? Qu’aucun d’entre eux n’ignore que, si Spedalieri est mort, ses zélés défenseurs sauront le laver des critiques ridicules et remporteront une entière victoire, non par le mérite de leurs seules œuvres, mais parce que la mauvaise foi et le mensonge ne peuvent manquer d’être démasqués.
I. Des droits de l’Homme
1. L’homme tend avant tout vers le bonheur en vue duquel il a été créé. Il doit donc avoir droit à tous les moyens qui lui permettront d’atteindre ce but. Sans ce droit, une telle tendance et un tel but seraient vains.
2. Il n’est pas ici question de la félicité éternelle, à laquelle on n’accède seulement que dans l’au-delà, mais du bonheur fini, limité à la vie présente.
3. Les moyens employés devront être aussi naturels que la tendance elle-même. Quels sont les moyens pour être heureux dans le siècle ? La protection et le perfectionnement de ce que chaque sujet a en propre ; la libre disposition de tout bien acquis légalement ; le pouvoir d’agir, penser ou juger librement ce qui touche à la conservation et à l’amélioration de soi-même et de ses biens.
4. L’homme a droit à tout cela. Écoutez donc, Citoyens, la liste exacte de vos droits ! 1° Droit pour chaque personne de protéger ce qu’elle a en propre. 2° Droit au perfectionnement de soi-même. 3° Droit de propriété sur les biens acquis légalement. 4° Droit à la liberté ou, pour être plus précis, autonomie individuelle pour tout ce qui concerne la conservation et le perfectionnement de soi et de ses biens. 5° Droit à la liberté de penser, c’est-à-dire de juger par soi-même de tout ce qui regarde les droits précédemment énoncés.
5. L’immédiate conception de ces droits découle d’une inclination naturelle au bonheur, laquelle est assurément aussi conforme à la raison que le droit lui-même. Ces faits ne font aucun doute. Si l’homme n’avait pas la possibilité de protéger ce qu’il a en propre, il est évident qu’il serait très malheureux. Il est clair que s’il n’avait cette possibilité, il ne pourrait pas davantage se perfectionner lui-même. Si protéger ce que nous avons en propre signifie persévérer jusqu’au terme de l’existence, comment juger de la valeur d’une existence ? Or, cette valeur s’accroît justement par l’acquisition de nouveaux biens, c’est-à-dire par le perfectionnement individuel. Le pouvoir de protéger et de perfectionner légitimement notre existence individuelle provient donc de notre orientation naturelle vers le bonheur. À quoi bon l’acquisition de nouveaux biens si l’on ne peut en jouir ? Il faut nécessairement acquérir les moyens de se protéger et de se perfectionner. Mais supposons qu’après m’être vu concéder des droits tels que celui d’agir, de penser et de juger, je devais m’en remettre à quelqu’un d’autre. Il me paraît évident que je ne disposerais d’aucun véritable pouvoir : faire par soi-même et faire dépendre son vouloir de la volonté d’autrui sont deux idées incompatibles. Par conséquent, vous voyez que les droits découlent de notre propension au bonheur et qu’ils sont donc conformes à la raison.
6. Il y a un sixième droit ; c’est celui de faire usage de la force chaque fois que cela est nécessaire à la défense ou à la restitution des cinq autres droits. Quand il ne reste que la force pour défendre les droits, il convient d’y recourir pour qu’ils restent intacts et que tombent les obstacles au bonheur.
7. Citoyens, voyez le Patrimoine respectable que la nature vous a légué. Patrimoine sacré, inaliénable, imprescriptible. Patrimoine toujours vivant et procédant de la nature. Patrimoine que même Dieu ne peut vous retirer, puisqu’il ne peut faire ce à quoi il répugne. Il pourrait faire que vous ne soyez point, mais pas que vous ne soyez ni libres ni pourvus de tels droits. Et pourtant, les ennemis de l’humanité ont d’une main sacrilège tenté d’aliéner, prescrire et annuler cet héritage, ce sacro-saint patrimoine. Et vous n’avez rien dit, vous avez fermé les yeux et vous vous êtes laissé spolier. Aujourd’hui, vous en disposez de nouveau, sachez le maintenir. Vous devez préférer une mort glorieuse plutôt que de perdre à nouveau ce patrimoine. Jurez de vous méfier des ennemis orgueilleux qui rodent encore autour de vous pour vous abuser et vous prendre dans leurs rets.
II. Des devoirs de l’Homme
1. Aux droits correspondent des devoirs qu’il faut respecter. Droits et devoirs sont associés, l’idée de l’un éveillant aussitôt l’idée de l’autre. Mon droit à la sécurité fait naître chez mon prochain le devoir de me laisser faire tout ce qui contribuera à ma sécurité ainsi que celui d’omettre tout ce qui s’y oppose. Personne ne peut me contrarier pour ce qui regarde mes droits. Pour cette raison, le devoir présuppose et procède toujours du droit. Il y a donc autant de devoirs qu’il existe de droits.
2. Cela implique que les devoirs sont eux aussi naturels, essentiels et conformes à la raison ; car l’effet est de même nature que sa cause. De plus, au bout du compte, les devoirs donneront la priorité à la recherche du bonheur. Comme les droits entraînent des devoirs et proviennent d’une naturelle inclination au bonheur, il en est de même pour les devoirs.
3. Lorsque vous voyez surgir du XVIIIe siècle quelque raisonneur inepte et fanatique qui, d’un ton pontifiant, vous assène que l’homme n’a que des devoirs, faites-lui donc entendre la voix indiscutable de la raison selon laquelle il n’est point d’idée négativequi n’ait son pendant positif ; nulles ténèbres qui n’aient été précédées par la lumière ; et que les devoirs se peuvent comparer précisément au négatif, et les droits au positif. Ainsi, l’erreur que professent de nombreux cuistres s’étouffera dans l’œuf.
III. La véritable conception de l’égalité
1. Tout homme, sans aucune distinction, reconnaît en la nature sa propre mère. C’est pourquoi chacun jouit du patrimoine qu’elle a constitué pour lui. L’égalité se rapporte donc aux droits. Il n’existe à cet égard aucune différence entre les riches, les nobles, les plébéiens et toute autre élucubration conçue pour rabaisser les uns et rehausser les autres. Par ailleurs, pour ne pas se méprendre sur l’égalité, ne confondons pas les droits avec la matérialité des droits. Tous les hommes ont des droits égaux, mais ces droits ne se matérialisent pas de manière égale. L’un en a cent, l’autre seulement trente. Et pourtant, les droits du second sur ses trente valent autant que ceux du premier sur ses cent.
2. Voici l’égalité contenue dans la nature. Puisque tous souhaitent accéder équitablement au bonheur et que les moyens d’accéder au bonheur dépendent non des droits, mais de facultés de l’esprit et du corps inégalement réparties entre les individus, il en découle que celui qui jouit de plus de facultés y accèdera mieux que celui qui en a peu. Par conséquent, la nature ne peut contenir l’égalité matérielle des droits ; elle est au contraire résolument inégale.
3. L’homme le plus talentueux, le plus actif et le plus habile peut accumuler les richesses. Mais, s’il dissipe ses biens abondants, il retombera vite dans la misère. L’homme parcimonieux atteindra le haut degré de richesse où l’autre l’avait précédé. Voilà une bien consolante vérité.
4. Certains ont également imaginés que l’égalité tant vantée consistait en ce que tous jouissent d’une même quantité de biens. Et comme cela n’arrive pas, ils se mettent à récriminer au nom du peuple que l’on nous dit une chose et qu’on en fait une autre, qu’on nous fait prendre des vessies pour des lanternes, qu’on nous trompe à tour de bras.
5. Eh bien, que ces vils insectes le sachent, et sachez-le aussi : Citoyens, l’égalité dont vous avez été dépossédés vous vient de la nature ! La fausse égalité, que je vous ai décrite, vous exclut des charges sous prétexte que vous ne possédez pas de titres nobiliaires, vous assujettit à des lois auxquels d’autres se soustraient au nom des privilèges dont ils sont ornés. Elle fait de vous seuls les sujets des lois, en exemptant les autres au nom de ces mêmes privilèges. Elle fait peser sur vous seuls le poids des institutions, en dispensant ceux sur lesquels il devrait peser uniquement parce qu’ils se font craindre. Sachez qu’une égale répartition des biens est impossible, situation qui perdurera pour des motifs que nous avons déjà invoqués. Nombreux sont ceux qui ne doivent leur misère qu’à leur propre maladresse. Une égale répartition aurait en outre des conséquences néfastes pour la société. Qui voudrait se charger de développer l’industrie ? Cette activité exigeant des efforts, qui s’y évertuerait si l’on n’y était pas poussé par la nécessité ? Quel paysan voudrait aller cuire au soleil en pleine campagne ? Quel artisan voudrait suer jour et nuit s’il n’avait besoin de gagner son pain à la force du poignet ? Si l’on faisait ainsi, la source des biens de luxe comme de ceux de première nécessité se dessècherait bien vite. Or, l’inégalité est justement le moteur de l’ingéniosité qu’elle aiguise et pousse à s’exercer.
6. Ne croyez pas que je veuille justifier ainsi l’immense inégalité matérielle qui sévit tout particulièrement dans l’État romain. On doit y supporter le spectacle de ces possessions par trop démesurées, acquises bien souvent par la fraude, véritables usurpations couvertes par le caprice des papes. Tandis que les possessions des uns sont si considérables qu’elles leur rapportent des centaines de milliards d’écus par an, le capital de trente mille autres, fruit d’une année de travail, atteint à peine cent écus. Ces inégalités monstrueuses heurtent de toutes parts le système social, de même que le corps humain est affecté tout entier par la tumeur qui ne grossit que sur l’un de ses membres. À quoi une si grande inégalité est-elle utile ? Au luxe, à la veulerie, à la mauvaise éducation, aux vilaines habitudes, au vice. Nous en avons constamment sous les yeux des preuves vivantes, toutes funestes dans une société bien organisée. Elles causèrent autrefois notre ruine, mais la République s’en sortira grâce au talent sublime de ses représentants. Pensez-vous que la croissance du nombre de propriétaires serait d’un grand bénéfice, et que ce serait comme récupérer sa mise et se payer d’une monnaie dont le cours dépendrait non d’une fraude, mais du fruit du labeur ?
7. Je comprends que ces propos ne plaisent pas à tout le monde. Mais c’est ainsi que je reconnaîtrai les aristocrates, ennemis de la République et partisans de l’ancien gouvernement qui cherchent par tous les moyens à nous ruiner et à causer notre misère. On m’objectera que nombre de personnes bénéficient des subsides de grands propriétaires. Mais ne subsisteraient-ils pas aussi bien, sinon mieux encore et d’une manière plus profitable au corps social, si la répartition des grandes richesses se faisait plus soigneusement. Les membres de trop nombreuses familles échappant au travail de la terre comme aux professions libérales s’adonnent à l’oisiveté ; ils consacrent dans les antichambres le plus clair de leur temps au jeu et au commérage, contribuant ainsi à la ruine des bonnes mœurs et à celle de l’intérêt public.
8. Partant de cet état de fait, je voudrais que chacun conçoive une idée juste de ce que sont l’égalité et l’inégalité des biens de la fortune. Chacune a ses propres confins. L’égalité ne reconnait aucune restriction et mérite seule les honneurs de la République. Car, s’inspirant des droits de l’Homme, l’égalité fait également observer et respecter les lois pour le bien de tous. Comme je vais vous le démontrer ci-dessous, l’égalité relève d’un gouvernement républicain entièrement fondé sur le socle des droits de l’Homme.
9. Je vous invite donc à considérer que l’idée d’une complète égalité de possessions est régressive. Qu’il vous suffise qu’une sage République offre à chacun, quels que soient ses talents, la possibilité d’améliorer son propre sort. Qu’il vous suffise que la gabelle ne rapporte plus seulement à cause de la sueur des pauvres, mais qu’elle s’étende à tous, sans que quiconque n’y échappe au nom de ses privilèges ou parce qu’il porte une décoration, s’habille de rouge ou de noir, ou que sais-je. Qu’il vous suffise que les coûts et les recettes se tiennent dans une juste proportion, de sorte que les citoyens des classes inférieures n’aient pas à mourir de privations ; que l’ouvrier trouve un travail, que la pauvreté ne barre le passage ni à l’emploi, ni aux fonctions lucratives ; qu’il n’y ait aucun obstacle à la pratique des arts, que l’industrie, le commerce ne soient point entravés par d’odieux monopoles et de cupides arrangements ; que l’auteur d’une faillite frauduleuse, le riche fidéicommissaire ne puissent se moquer impunément de la bonne foi d’autrui ; et que chacun puisse espérer à mérite égal une réussite égale.
10. Sous le gouvernement passé, avez-vous pu jouir de tels avantages, d’une telle égalité ? Eh ! Ne ruminons point ces sujets lugubres. Consolons-nous en pensant que nos vertueux consuls et préfets, pleins d’allant et de talents, nous en feront bénéficier dans la nouvelle République Romaine.
IV. origine de la société et fondements du Contrat social
1. Si le bonheur de tous et de chacun dépend des droits naturels, il convient de les affermir et de les protéger jalousement afin qu’ils ne puissent être violés. L’homme coupé des autres, éloigné de toute société, ne peut être assuré de la pleine conservation de ses droits ; et s’il n’était dépossédé que d’un seul, tous les autres s’en ressentiraient, de même que le corps tout entier souffre de la blessure d’un seul membre. Qu’un seul maillon lui soit arraché et c’est la chaîne tout entière qui se rompt et se disloque. Hors du corps social, la protection de la vie et de toute chose ne dépendent plus que des individus : les plus fragiles ne peuvent résister à de puissants agresseurs ; les plus simples tombent dans les pièges tendus par de plus malins qu’eux ; dans l’enfance, la vieillesse ou la maladie, ils ne se voient prêter nul secours. Ils ont de bonnes raisons d’avoir peur de succomber à de si nombreux dangers. Dans une telle jungle, l’homme est comme un assassin miséreux, contraint de fuir par monts et par vaux pour sauver sa peau.
2. Tout cela s’évanouit instantanément en société, où les droits de l’Homme trouvent leur meilleure protection. Car la société, unissant les forces de chacun, est le seul lieu qui puisse procurer à ces droits un soutien efficace, leur porter rapidement secours. Ainsi, l’homme y trouve-t-il le courage qui l’aide à se prémunir contre les dangers environnants.
3. La société est donc le lieu naturel de l’homme. Mais nous ne sommes pas parvenus seuls à former une société, organisation des plus complexes. C’est Dieu qui, tel un tuteur nous considérant comme des orphelins, a créé la vie en société.
4. La vie sociale est cependant fondée sur un contrat qui exige le respect des droits de l’Homme. En effet, si le bonheur individuel primait, l’homme pourrait le rechercher dans n’importe quelle forme de société, au mépris même des droits fondamentaux. Or, le contrat social procède des droits de l’Homme. Souvenez-vous du droit à la liberté de jugement, et de tout ce qui concerne les droits à la sécurité, à la propriété, au perfectionnement personnel. Tous ces droits nous poussent à choisir volontairement le type d’État dans lequel nous consentons à vivre, conformément à la définition que nous avons donnée de la liberté et des droits. Mais comment être uni à un grand nombre d’hommes par une décision individuelle ? En adhérant en toute conscience à un même Contrat social.
5. Ne vous mettez pas martel en tête sous prétexte que je vous ai dit que la vie en société est un don du Créateur et que cela semble en contradiction avec l’idée d’une adhésion volontaire à un Contrat social. Distinguons un fait, notre organisation en société, et le droit, c’est-à-dire la raison intrinsèque, inhérente à la société. Cette raison ne peut être autre qu’un contrat.
6. Vous pourrez désormais répondre aux insensés qui, abhorrant les droits de l’Homme, se ravalent à l’état de brute, vitupérant le Contrat social sans d’autres arguments que ceux dictés par leur ignorance crasse. Ils railleront la doctrine de Rousseau, prétendront que les argumentations d’un philosophe libertin ne sont qu’erreurs, hérésies et maximes impies. Faites-leur honte !
V. Conditions du Contrat social
1. Jusqu’à présent, je vous ai seulement expliqué la nature générique du Contrat social. J’en viens maintenant à la description de ses conditions d’exercice, c’est-à-dire aux commandements particuliers qui s’y imposent et le constituent précisément. Vous comprendrez mieux ainsi en quoi consiste ce contrat.
2. Avant tout, remémorez-vous que le bonheur, état vers lequel l’Homme est irrésistiblement attiré, est une fin dont le moyen est l’unité avec les autres au sein d’une société. En effet, en unissant dans une coexistence pacifique ses forces à celles d’autrui, chacun verra augmenter ses propres chances de se perfectionner, et se sentira rassuré par la prévenance de ses compagnons.
3. Ainsi, pour établir cette coexistence rassurante, la raison suggère que chacun se prescrive d’aider ses concitoyens. Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent. C’est le premier commandement.
4. Pour la même raison, il convient que chacun se sente tenu de faire profiter les autres des fruits de son travail. C’est le deuxième commandement : les fruits de toute activité bénéficient à tous et à chacun.
5. Si, dans la société, chacun voulait jouir d’une liberté sans bornes de faire, de juger, de vouloir et d’agir, alors les commandements susdits ne seraient pas observés et les droits naturels des individus ne seraient plus garantis. L’un penserait à sa manière, l’autre à la sienne et ainsi les jugements, les volontés et les forces se contrediraient et les droits individuels entreraient en concurrence. La raison exige que, lorsque les droits des uns s’opposent à ceux des autres, nul n’en juge selon son seul intérêt et ne fasse prévaloir sa propre volonté. Voici le troisième commandement auquel doivent souscrire les citoyens.
6. Il conviendra donc que ces jugements, ces volontés et ces forces singulières se conjuguent de manière à ne plus former qu’une seule chose publique confiée à des représentants, dont les jugements, la volonté et la force exprimeront ceux du Peuple rassemblé en société.
7. Cet état de fait impose à chaque citoyen de se soumettre au jugement, à la volonté et à la force publique incarnés par leurs élus, chaque fois que leurs propres droits entreront en conflit avec ceux des autres. Voici le quatrième commandement.
8. Ce n’est pas terminé. Ces représentants ont besoin d’une force physique qui ne peut venir d’eux-mêmes. Une portion des biens de chacun sera selon une juste proportion versée dans le trésor commun, afin que tous contribuent volontairement à l’entretien de la force publique nécessaire. C’est le cinquième commandement.
9. Le sixième commandement exige que la victime renonce à obtenir par elle-même réparation, car le châtiment ne doit pas porter atteinte aux droits de son agresseur. Soyons clair. Seul le juge public est fondé à rendre justice, sauf s’il n’existait aucune autre possibilité.
10. La cohabitation des hommes en société enfante le bien public et le bien privé. Le premier est commun à tous les individus. Le second ne concerne que quelques-uns d’entre eux. Si le bien privé ne nuit pas au bien public, rien n’oblige à s’y opposer. Mais chaque fois que des intérêts privés portent atteinte au bien public, tout citoyen à le devoir d’y renoncer. Le bien public procède de la justice qui lui donne les moyens de régner. Ainsi naissent les lois. D’où ce septième commandement adressé aux membres de la Société : observer la législation civile et s’y soumettre, les contrevenants s’exposant à être poursuivis.
11. Citoyens, voici les commandements qui découlent de la nature spécifique, de l’essence même du Contrat social. Chacun d’entre eux est immuable et nécessaire à la jouissance des droits de l’Homme, car tous dérivent de notre tendance naturelle à rechercher le bonheur.
12. Par-dessus tout, je vous exhorte à ne pas vous laisser séduire par les idées hostiles aux droits de l’Homme que l’on rencontre chez certains écrivains. Contrecarrez-les. Enseignez-leur que la société civile protège et augmente l’influence des citoyens bien qu’elle semble l’affaiblir ; les représentants du Peuple en expriment l’esprit, la volonté et la force de sorte que l’on peut légitimement affirmer que le Peuple entier est souverain. Gardez jalousement cette vérité sublime et ne laissez aucune main sacrilège y attenter.
VI. De la souveraineté
1. Par souveraineté, nous entendons l’autorité véritable, le pouvoir et la juridiction suprêmes. Elle consiste en l’union des trois facultés de juger, de décréter et d’exécuter afin que l’esprit public qui juge, la volonté générale qui décrète et la force publique qui exécute incarnent la souveraineté. Et puisque ces trois facultés procèdent partiellement de chaque individu, le peuple est radicalement et originellement le seul véritable souverain, celui qui possède la souveraineté.
2. Nous avons vu que l’un des pactes constitutifs du Contrat social consistait à ôter à chacun ses facultés de juger, de décider et d’exécuter pour les confier à ceux qui les font exister au nom de tous afin que tous s’y soumettent. C’est cela que l’on nomme souveraineté, aboutissement du Contrat social.
3. Il ressort de ce que nous avons dit de la société qu’elle ne peut se former tant que chacun n’a pas consenti à se laisser déposséder de sa faculté de juger, de décréter et d’exécuter au profit de l’action publique commune. De sorte qu’elle ne peut subsister ni se former sans la souveraineté. L’on pourrait dire avec justesse que si la société est le corps, la souveraineté est l’âme. Et, comme le corps se dissout sans l’âme, la société ne peut survivre sans la souveraineté.
4. Mais la société étant nécessaire et indispensable pour accéder au bonheur en ce monde, la souveraineté l’est aussi. Conséquemment toutes les facultés y afférentes devront être constamment mises en œuvre.
VII. Droits et devoirs des gouvernants
1. Les gouvernants disent l’esprit public, la volonté générale et la force publique. C’est pourquoi ils peuvent se considérer comme revêtus de la souveraineté lorsqu’ils les mettent en œuvre. Il leur incombe donc de fixer les droits et les devoirs au nom de la souveraineté.
2. S’agissant du bonheur temporel de chaque individu qui les transcende, les gouvernants ont donc le devoir de tout faire dans l’intérêt du Peuple, et veilleront à n’orienter le pouvoir qui leur a été confié qu’à son avantage. C’est pourquoi ils doivent constamment veiller au salut du Peuple.
3. Or, il dépend de leur jugement qu’ils produisent de justes arrêts, convenables à l’intérêt général. Le premier devoir de ceux qui gouvernent est donc de trancher impartialement les différends qui opposent les citoyens, sans jamais suivre leur propre fantaisie ni celle de quiconque, éloignant du prétoire les passions humaines, ayant acquis pour ce faire tout le savoir nécessaire.
4. L’intérêt général dépend aussi de la sagacité, de la détermination et du zèle avec lesquels ils écarteront les obstacles au bien commun. C’est dans ce but que fut instituée la volonté publique. Le second devoir des gouvernants est donc la pugnacité, l’efficacité. Une volonté nonchalante ou molle n’est d’aucune utilité. L’ancien gouvernement nous a ruinés à force de mollesse, d’inaction, d’apathie et de fainéantise. Veillez, citoyens, à ce que vos actuels gouvernants n’imitent pas les précédents. Vous retomberiez bien bas. Si vos gouvernants sont faibles, remplacez-les. Cette maxime importe plus que tout autre chose. Et vous, qui gouvernez le Peuple, ne décevez pas ses espoirs car tous comptent sur votre action. Que l’intérêt public seul vous aiguillonne et vous mène.
5. Au fond, toute décision ferme contribue au bien commun, et ce tant que le pouvoir exécutif n’a d’autre but que la recherche de l’intérêt de la République. Et si les gouvernants observent leurs deux premiers devoirs, leur action ira dans la bonne direction. Un autre devoir des représentants du peuple en découle, qui leur fait obligation non de ménager leurs efforts, mais au contraire de se vouer généreusement à l’action publique. Qu’ils n’osent confondre les deniers publics avec leurs biens personnels, ou en faire bénéficier de vils adulateurs ; et que règnent dans les forces armées l’ordre et la discipline, tout ceci afin qu’au lieu qu’on les défende, ils ne soient traités en ennemi public.
6. Les gouvernements d’avant, suivant cette voie, ont provoqué le malheur des citoyens. Les dépenses faites sur un coup de tête étaient innombrables, comme s’il fallait dépenser toujours plus, jusqu’à passer toute mesure. Le denier public, profitant à des intérêts privés, fut placé entre les mains de bouffons qui, sous le couvert de rendre des services à l’État et assiégeant continuellement le trône, s’enrichissaient de l’appauvrissement de tous. Mais la Divine Providence, provoquant la ruine des princes, a fort heureusement suscité une régénération. Citoyens, rendez grâce au Ciel et à ses impénétrables décrets. Et vous, représentants du Peuple, inspirez-vous de cet exemple et faites de la vertu votre guide le plus sûr. Mais revenons à notre sujet.
7. Si les gouvernants ont des devoirs, ils doivent disposer de moyens de même nature afin de pouvoir s’en acquitter. Ainsi, à chacun des devoirs que nous avons indiqués doit correspondre un droit analogue. Considérant le premier devoir, les représentants ont le droit de se procurer toute l’aide nécessaire afin de juger comme il convient, contraignant les témoins à faire les utiles dépositions qui permettront de ne pas confondre le crime avec l’innocence et la vérité avec l’erreur. Ils ont donc également le droit d’obtenir des informations sur la circulation des idées politiques, sur les vices les plus répandus et sur les agitateurs qui perturbent la tranquillité publique.
8. Pour ce qui se rapporte à leur deuxième devoir, ils commanderont, droit sans lequel leur volonté, quoiqu’elle le veuille, ne serait pas en mesure de s’imposer. Ce droit entraîne pour le Peuple le devoir d’obéissance. Le commandement est la loi elle-même, au respect de laquelle nul ne peut se soustraire sous le prétexte de titres absurdes ou factices bafouant le principe d’égalité ; principe selon lequel tous, sans distinction, seront assujettis à la loi ; principe ne souffrant aucun de ces privilèges qui piétinèrent autrefois la justice, la loi et les droits naturels.
9. S’agissant du troisième devoir, ils ont le droit de faire la guerre et la paix, de conclure ou de rompre des alliances avec d’autres peuples. Ils sont également souverains en matière de traités commerciaux. Ils pourront donc envoyer des émissaires, sous quelque titre que ce soit, aux cours étrangères. Il en découle qu’ils nommeront et entretiendront, à travers les impôts, des hommes pour former une armée, et enfin qu’ils pourront punir les délinquants. Voici les droits et les devoirs des représentants du peuple.
VIII. Du gouvernement et de ses formes légitimes
1. Le gouvernement n’est rien d’autre que l’exercice de la souveraineté. C’est donc une maladresse inouïe que de confondre l’un avec l’autre et de croire que l’on entend souveraineté lorsque l’on parle de gouvernement. Le gouvernement est divers, polymorphe : la souveraineté est une, invariable, immuable, parce qu’elle trouve sa racine originelle dans le Peuple.
2. La forme du gouvernement dépend de la manière d’exercer la souveraineté. Il y a donc autant de formes de gouvernement qu’il y a de manières d’exercer la souveraineté. Nous considèrerons comme légitimes les formes conformes à la raison, c’est-à-dire celles qui contribuent au bonheur des citoyens.
3. La manière ordinaire d’exercer la souveraineté passe par des élections à destination des gouvernés, élections dont le nombre et l’organisation détermineront la manière d’exercer la souveraineté.
4. Par conséquent, pourront être élues une seule ou plusieurs personnes. Dans le premier cas, la forme du gouvernement se nomme Monarchie, dans le second, République. Ainsi, la Monarchie est-elle le gouvernement d’un seul, et la République celui du grand nombre.
5. Mais ce grand nombre pourrait ne provenir que de la classe nobiliaire, ou bien de toutes les classes, de tous les citoyens sans distinction ni exclusion d’aucune catégorie sociale. Dans le premier cas, le gouvernement prend une forme dite aristocratique, celle du gouvernement des classes supérieures. Dans le second cas, nous dirons qu’il s’agit d’un gouvernement démocratique ou populaire. L’aristocratie est le gouvernement des classes supérieures, de la noblesse. La démocratie est le gouvernement du peuple ; c’est ce que nous appelons communément un gouvernement républicain.
6. Enfin, l’exercice de la souveraineté et de ses principales fonctions peut être réparti isolément entre un chef de gouvernement, la noblesse, les gens du peuple ou confié aux uns et aux autres. Nous parlerons alors d’un gouvernement mixte, où se mêlent toutes les formes de gouverner ou seulement quelques-unes.
7. Voici quelles sont les formes légitimes de gouvernement, parce que la raison ne trouve en eux aucun inconvénient, rien qui s’oppose substantiellement au bonheur temporel.
IX. Des formes illégitimes de gouvernement
1. De la définition du gouvernement légitime découle celle du gouvernement illégitime. Ce seront donc toutes les formes d’exercice de la souveraineté faisant obstacle à la poursuite du bonheur temporel par les citoyens. Voyons en quoi elles consistent.
2. Si nous admettons que la souveraineté est l’expression des idées, des désirs et de la force populaires, alors chaque gouvernement qui n’exprime que les siens et non ceux du Peuple n’est pas souverain. La souveraineté nous apparaît comme la seule voie vers le bonheur dans la société civile. Tout autre mode de gouvernement qui n’aurait pas ce projet ne saurait être approuvé par la raison. Ce raisonnement permet de démasquer les gouvernements illégitimes.
3. Faisons-en la démonstration. Illégitime serait le pouvoir de toute personne appelée à gouverner qui n’en ferait qu’à sa tête et ne poursuivrait d’autre but que l’expression de ses idées et l’assouvissement de ses désirs. Nous l’appellerions Despotisme ou Tyrannie et son auteur Despote ou Tyran.
4. Nous en dirions autant des nobles qui ne gouverneraient qu’en écoutant leur fantaisie. Leur gouvernement est oligarchique, donc illégitime, et se condamne de lui-même.
5. Il arrive aussi que le Peuple, aveuglé par la colère, n’écoute plus ses représentants ni ses devoirs légaux, mais se fasse législateur. Dans de pareilles circonstances, il n’est plus rien qu’une foule frénétique et déraisonnable, un agrégat de brutes dépourvues de tout lien social, de sorte que l’exercice de la souveraineté s’en trouve suspendu. Cette forme de gouvernement, la pire de toutes, se nomme l’Anarchie.
6. Gardez-vous, citoyens, de sombrer dans un tel désordre. Observez les lois, soyez pleins d’égards pour les décrets qui vous viennent de vos représentants, montrez une âme et une vertu de Romain.
X. La démocratie est la forme de gouvernement la plus conforme aux droits de l’Homme
1. S’il est vrai que chaque forme de gouvernement qu’approuve la raison est, pour cela même, conforme aux droits de l’Homme, il n’en demeure pas moins que la démocratie est la forme de gouvernement la plus conforme à ces mêmes droits. La démonstration en est aisée.
2. Nous avons convenu que la souveraineté résultait de la justice, de la volonté et de la force de tous. Donc la manière d’en régler l’exercice la plus conforme à la liberté de penser et aux droits de juger, de vouloir et d’exécuter sera celle qui permettra de laisser cet exercice même entre les mains du Peuple. Car il est certain que le Peuple renoncera à ses droits, s’il lui semble qu’il ne peut en être autrement. Mais il est également certain que plus il contribuera à la vie publique, plus il se conformera à la nature des droits et au Contrat social. Or, la démocratie permet l’exercice de la souveraineté de manière plus puissante que les autres formes de gouvernement. C’est pourquoi elle est la plus conforme aux droits de l’Homme.
3. À dire vrai, sous ce seul régime, chacun peut aspirer à devenir réellement représentant, administrateur, exécutant. Chacun peut et même doit, en votant, participer à l’élection des détenteurs de la souveraineté. Chacun peut se faire élire afin d’exercer d’une manière ou d’une autre l’un des trois pouvoirs constituant la souveraineté.
4. On ne peut en dire autant du gouvernement monarchique ou aristocratique, dans lesquels la souveraineté est réservée à une personne ou à la classe aristocratique.
5. Ajoutons qu’un monarque détenteur perpétuel de toutes les rentes, arbitre de la puissance publique, dispensateur de toutes les grâces, a toute latitude de se faire despote. Et, s’il ne le faisait pas, ce ne serait que par un effet de sa seule vertu et non en raison du système politique et de la forme du gouvernement. Si le monarque ne respecte aucun des devoirs que lui fixe le pacte social, le peuple impuissant sera soumis à une oppressante tyrannie.
6. Ce n’est pas mieux avec un gouvernement aristocratique. Qu’il suffise de dire combien il est injuste et absurde d’admettre le principe même d’aristocratie. L’art de bien gouverner ne saurait être considéré comme l’apanage exclusif de la noblesse. Talents et vertus coulent-ils dans leurs veines comme l’or dans les fleuves ? La nature, lorsqu’elle distribue les talents, ne consulte pas les arbres généalogiques !
7. Ce n’est pas tout. Selon moi, le gouvernement de l’aristocratie est pire que celui de la monarchie. N’avoir qu’un seul roi vaut mieux que plusieurs, et rares sont les aristocrates qui respectent leurs sujets. Un roi seul peut être bon, mais parmi de trop nombreux souverains, il s’en trouvera toujours d’iniques et ce sont souvent, pour notre malheur, les plus actifs et les plus influents. De plus, un monarque vertueux peut réparer les dommages causés par son prédécesseur et ramener le bonheur parmi ses sujets. Par contre, on ne peut se soustraire au mal que fait une aristocratie corrompue ; il empire chaque jour.
8. Concluons donc sur le fait que la démocratie est la plus conforme aux droits de l’Homme et la plus à même de réjouir le Peuple.
9. Néanmoins, selon certains, il serait exact d’affirmer que le Peuple n’est pas capable de gouverner par manque d’instruction et aussi parce que le soin des affaires publiques l’éloigne de ses affaires privées. Vous pourriez leur répondre que s’occuper des affaires de l’État revient à s’occuper des affaires de sa propre famille. Car l’État est la famille du Peuple. Vous pourriez ajouter que le gouvernement populaire n’exige pas de chacun qu’il administre les choses publiques, mais confie cette charge qu’à ceux qui en sont les plus capables, sans distinction de naissance ou de fortune. Vous, Citoyens romains, êtes entrés en possession de cette nouvelle forme de gouvernement qui est, nul n’aurait pu l’imaginer, comme votre antique République parvenue à son apogée. Sachez la protéger, si vous souhaitez atteindre à une pareille grandeur.
XI. Avantages de la démocratie
1. Il ne serait pas utile d’explorer les avantages de la démocratie avant d’avoir établi que ce mode de gouvernement est le plus conforme aux droits de l’Homme et donc le plus apte à susciter la félicité publique et privée. C’est pourquoi il nous paraît intéressant d’insister sur ce point et de décrire ses avantages.
2. Il est juste que chacun jouisse autant que possible de l’ensemble de ses droits et participe à la mesure de ses moyens au bien de la société. Or ceci, nous l’avons montré plus haut, arrive de façon merveilleuse dans la démocratie.
3. Quelle sagesse en tout cela. Car l’estime de soi, qui doit s’épanouir dans un gouvernement démocratique plus que dans tout autre, nous tient en éveil, nous rend prompts à discerner ce qui nous est nécessaire, nous laisse sur nos gardes lorsqu’un danger menace et nous rend habiles à trouver dans les lois ce qui pourra nous en protéger.
4. La prospérité triomphera, car les talents, l’industrie, l’activité et les dons naturels, les lumières de la science, les facultés d’imagination et d’action de chacun, qui s’étiolent dans l’état de servitude et dans quelques autres modes de gouvernement, fleurissent en toute liberté dans un gouvernement démocratique, y trouvant le mouvement, l’énergie et l’émulation qui contribuent à augmenter la production, perfectionner le travail, stimuler les arts et le commerce. De sorte que la richesse nationale augmente et que la prospérité se répand dans tous les ordres et dans toutes les classes de citoyens.
5. Voici le portrait fidèle du nouveau gouvernement que vient de se choisir la République naissante. Aimez-le Citoyens, protégez-le, donnez-lui tous vos soins. Aujourd’hui, vous avez retrouvé une patrie, ce qui n’est pas un vain mot, et un gouvernement de fraternité sociale, de liberté et d’égalité, toutes choses dont je vous ai largement parlé.
XII. De l’indispensable nécessité de la vertu en démocratie
1. Si la démocratie est le gouvernement le plus conforme et le plus favorable aux droits de l’Homme, c’est parce qu’elle mène chacun au bonheur temporel que procure le libre exercice de ses droits propres. Mais l’amour propre, s’opposant aux conseils de la raison, est le grand ennemi de ces mêmes droits, d’autant plus au sein d’un gouvernement républicain qui leur fait une plus large place. Il est donc plus nécessaire que dans n’importe quel autre gouvernement que l’amour propre y soit tempéré par la vertu.
2. La vertu est l’indispensable condition du bonheur. Elle est l’âme, la vie même des républiques. Dans une monarchie, le peuple se doit d’être bon ; il suffit que le monarque, puisqu’il fait tout à lui seul, soit vertueux. Mais dans un gouvernement populaire, où le bien est le fait de tous et où chacun peut concourir aux charges publiques et donc penser davantage à la patrie qu’à soi-même, l’État ne pourrait subsister sans de solides réserves de vertus et un effort commun pour les cultiver toutes.
3. Pour se préparer à la pratique des vertus sociales, il faut commencer par celles qui touchent à la vie domestique et privée, uniques garantes d’un patriotisme authentique. Celui qui n’est pas un bon père, un bon mari, un bon fils, un bon voisin, ne saurait être un bon citoyen ni un véritable républicain. Est-elle véritablement démocratique, l’âme de celui qui dilapide ses revenus ou les ressources de sa famille dans le luxe et le libertinage ? Et que dire de tel autre, qui se montre ingrat, retors, dur et inhumain avec les misérables ? De telles âmes doivent être bannies de la patrie.
4. Par-dessus tout, nul ne doit ignorer que le plus funeste et le plus fatal ennemi du bien public est l’égoïsme, qui ne doit jamais régner en maître. L’intérêt privé doit s’effacer devant le bien public. Les hommes veules, qui changent d’avis comme les feuilles au vent, sont indignes de porter le titre auguste de républicain. Ceux qui veulent faire carrière, qui profitent des circonstances pour s’élever ou enrichir leur famille ne méritent aucune estime dans un régime démocratique. Ce sont tous des ennemis, qui tournent comme des girouettes au premier souffle du vent. Il importe de savoir distinguer ce qui signale un vrai républicain. L’opportuniste ne peut qu’être hypocrite et son âme est double. Citoyens, pénétrez-vous de cette vérité pour savoir démasquer ceux qui, feignant d’être de bons républicains, sont encore des aristocrates, des monarques et des despotes arrogants. Ils ont l’air doux comme des agneaux : sachez reconnaître sur eux les marques de la convoitise qui les anime en toutes choses.
5. Mais il ne suffit pas qu’un républicain soit honnête, juste et vertueux. Il doit se dépasser lui-même jusqu’au sublime chaque fois que c’est possible. Le plus grand bien exige les plus grands efforts. Il lui faut être zélé, rivaliser de bonnes actions, faire le sacrifice de lui-même, vénérer les lois, avoir le sens de l’honneur, la passion du droit et de la justice. Voici les fondements inébranlables de la démocratie.
XIII. De l’indispensable nécessité d’une religion pure en démocratie
1. Afin de lever toute équivoque avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais préciser ce que j’entends démontrer. Lorsque j’affirme que la religion doit être la plus pure possible au sein d’un gouvernement démocratique, j’entends que les peuples gouvernés démocratiquement ont besoin que la religion catholique y soit gardée dans toute sa pureté, c’est-à-dire qu’elle soit mise en pratique par des actes exemplaires et non par des parole creuses.
2. Car il est bien évident que, si la vertu est nécessaire dans une démocratie, il faut se doter des plus sûrs moyens pour s’y adonner. La religion est le moyen le plus sûr ; pas la religion qui débouche sur la superstition, le fanatisme, la superficialité, pas plus que celle qui n’a que l’apparence de la bonté, mais celle qui en aime l’essence et la recherche de toutes ses forces. La vertu se devant d’être authentique et solide, telle doit être la religion.
3. L’amour propre constitue un obstacle majeur à l’avènement de la vertu, car il pousse à n’agir que selon son caprice, sans prêter attention aux avertissements de la raison. Il exerce une profonde influence, car toutes les passions en dérivent : il a pour loi l’insatiabilité et l’individualisme, qui veulent tout pour eux. Pour arriver à ses fins, il dévoie la raison à coup d’ambiguïtés, de principes tout juste survolés, de conclusions sophistiques qui ne visent qu’à lui apporter une justification.
4. Seule la religion, qui nous éclaire par l’étendue de sa perfection, de sa doctrine et de sa sapience céleste, peut ôter cet obstacle aussi puissant.
5. Un bon chrétien fait un excellent républicain. Tout authentique disciple du Christ avance d’un pas décidé sur le chemin des vertus sociales, car il promeut l’esprit fraternel, où se reconnaît l’Évangile. Il sait exalter l’égalité, que d’une voix forte lui a enseigné cette Loi sacro-sainte. Il sait pousser jusqu’à l’héroïsme l’amour du prochain et de la patrie, suivant le commandement évangélique. Il ne hait pas ceux qui le tourmentent, il prend soin de ses persécuteurs, respecte la loi, vénère le législateur et les corps constitués. Il protège les droits de chacun, pratique avec zèle la justice, déteste les privilèges, les distinctions, la partialité. La prudence est son guide, le bien public inspire ses actes. Il est sincère, loyal, fidèle en toutes occasions.
6. Tels sont les fruits que porte une religion intègre, dénuée de toute hypocrisie, et de ce fait indispensable à la République. Qui ne voit combien une telle religion est nécessaire dans la démocratie ?
7. Il est de la plus haute importance que cette vérité soit proclamée. Les ennemis du gouvernement républicain, arrogants et implacables, s’appliquent à vous le rendre odieux en prétextant qu’il ne respecte pas la religion. Ils commettent deux fautes, plus graves l’une que l’autre : dresser les sots contre la démocratie, et blasphémer l’auguste religion qu’ils ne connaissent qu’à travers leurs caprices. Ils n’ont qu’une religion, celle qui sert leurs propres passions et leurs intérêts. Misérables ! Trop longtemps, ils triomphèrent, mais ils ne triompheront plus. Ils ont eux-mêmes, aux yeux du peuple, affreusement dénaturé la religion de l’Évangile, alléguant des maximes qui ne se sont jamais trouvées dans le Livre sacré de la révélation. Ils ont mêlé le vrai et le faux, l’avéré et le douteux, afin de troubler le peuple et profiter de son désarroi pour en faire l’esclave de leurs opinions fausses. Certains sont même allés jusqu’à tenter de lui faire croire en des prodiges indignes de la sainteté et de la perfection de la religion, tant à cause de leur nature que des circonstances qui les produisirent, de leur nombre et de leur fréquence. Ils ont plus ou moins accusé d’athéisme ceux qui, sous la conduite de la Tradition, de l’esprit, de la nature et du caractère miraculeux des faits, sous l’escorte de témoignages irréfragables, s’opposaient à eux. Et ils ont fait pire encore, guidés non par la vérité, mais par leur seul intérêt, afin de plonger le peuple toujours plus dans l’ignorance.
8. Je méprise tous ceux-ci. Je ne méprise pas moins tous les misérables qui feignent de trembler au nom auguste de la religion chrétienne, cette religion rayonnant de tous les traits lumineux du divin et de la vérité, mais qui ne vaudrait que pour les ignorants, parce qu’ils n’ont besoin ni d’examen ni de réflexion.
9. Citoyen, ouvrez les yeux ! D’aucune de ces deux sortes d’hommes ne peut sortir un vrai républicain, car aucun d’entre eux ne peut être vraiment vertueux. Soyez les gardiens jaloux de votre religion, mais sous sa forme la plus pure, immaculée, préservée du fanatisme et de la superstition qui pourraient la discréditer et l’exposer au mépris.
XIV. Un peuple opprimé par un gouvernement despotique peut librement le renverser
1. Le choix que fait le peuple d’un gouvernement implique la conclusion d’un véritable contrat réciproque, lequel comprend le respect de conditions posées par chacune des parties. La première condition consiste en ce que les gouvernants doivent protéger les droits naturels de chacun, et qu’ils visent, dans chacune de leurs décisions, le bonheur des sujets. Cette condition est la base du contrat, la source même et la raison suffisante de l’engagement que prend le peuple vis-à-vis de ses dirigeants et, comme telle, il n’est pas besoin qu’elle soit exprimée. Donc, si un Prince supprime les droits naturels de chacun, substitue le caprice à la loi, et plonge ses sujets dans la misère, le contrat s’en trouve aussitôt dissout.
2. Que l’on y songe, cette condition est telle que personne ne peut y renoncer sans renoncer au bonheur et à ses propres droits. Elle est de même nature et de même caractère qu’eux, intangible, inamovible, essentielle.
3. En effet, souvenons-nous que la souveraineté est l’expression de l’esprit, de la volonté et de la force publiques, c’est-à-dire des droits respectifs de chaque individu mis en commun. Mais ces droits sont intimement inhérents à la nature de chacun et leur mise en commun n’a qu’une seule fin : l’obtention assurée du bien de la société, je veux dire du bonheur sur terre.
4. C’est un fait : si celui qui administre au nom du Peuple détourne tout à son unique avantage et prive les citoyens du bonheur, il viole la première condition du contrat et y met fin. Ainsi donc, le contrat conclu entre le Peuple et le Prince ou tout autre gouvernement est rompu si les gouvernants n’en respectent pas la première condition.
5. Le despotisme respecte-t-il une telle condition ? Non, puisque le despotisme fait tout dans son seul intérêt, est indifférent au bien de ses sujets, ne cherche qu’à satisfaire ses désirs, même au prix de la ruine de l’État. Inflexible, il s’obstine à se faire haïr des hommes, avec le génie maléfique d’un Tibère, d’un Néron, d’un Domitien. En cas de despotisme, le contrat est donc rompu. Mais, dès lors qu’il est rompu, le Prince ou le gouvernement cesse sur le champ de représenter le Peuple, qui peut légitimement le renverser et le déchoir de sa souveraineté.
6. Voici une vérité que les ennemis de l’homme et du bon sens ont voulu cacher. Mais la voix de la nature est plus forte que celle d’un esprit enjôleur. Les Peuples opprimés, ayant compris que cette voix était celle du despotisme, ont farouchement redressé la tête et secoué leur joug. Citoyens, vous apportez la preuve de la véracité de cette doctrine : votre marche résolue sur le chemin de la révolte montre combien votre triomphe est sublime et généreux.
XV. De la légitimité du peuple romain à détrôner son prince et à changer son gouvernement
1. Le peuple romain a renversé ses Princes. Il a changé la forme de son gouvernement. Il a recouvré ses droits. Il l’a fait à la perfection, il a fait ce qu’il devait faire. Combien de pleutres s’en indignent ! Combien de faux dévots en sont horrifiés, combien de profiteurs hurlent à l’impiété. Malheureux ! Vous me faites pitié. Mais j’invite les autres à écouter mon raisonnement et à dire après cela ce qu’ils veulent et ce qu’ils ont à dire.
2. J’ai déjà démontré que le libre exercice des droits de l’Homme dans une société rend à la longue les hommes plus heureux. Or, dans l’ancien gouvernement, on ne pouvait voir l’ombre de l’un de ces droits, tant ils étaient bafoués. Sous cette oppression, les citoyens n’avaient pas même les moyens de sauver leur propre existence, encore moins de l’améliorer. La liberté naturelle de contribuer à son propre bonheur, qui ne doit compromettre le bien général, devait se plier au caprice d’autrui. Le commerce languissant et presque exsangue, les finances déliquescentes, le parlement ruiné, la dette nationale creusée au-delà de toute mesure comme les autres ressources de l’État ; une inique circulation de l’argent, une série ininterrompue d’affaires toutes plus catastrophiques les unes que les autres, créant un gouffre de dépenses, sont autant de preuves du malheur des sujets du pape. L’existence était devenue moins que précaire, si l’on excepte quelques âmes viles qui bâtissaient leur propre réussite privée sur la ruine de celle de tous les autres.
3. Les impôts étaient parvenus à écraser la plus noble des professions, celle des agriculteurs, et à semer la désolation dans les campagnes. L’interdiction de posséder ses propres terres en augmentait les funestes effets. La liberté était étouffée par des lois sans fondement et dictées par l’ignorance. Les privilèges obtenus par quelques serfs plus chanceux, à force de flagornerie, leur servaient à dominer les autres, contribuant à anéantir l’agriculture tout entière. Les richesses de l’État allaient s’amenuisant jour après jour, de sorte qu’il arrivait souvent que le troisième mois de l’année venu, on manquait déjà des produits de première nécessité. Les monopoles que s’arrogeaient certains publicains, aux ordres du Très Saint Népotisme, limitaient et étranglaient les échanges intérieurs de sorte que l’on manquait de tout et que les prix ne cessaient d’augmenter.
4. Les dépenses inutiles et fantaisistes étaient si nombreuses qu’elles en devenaient incalculables. Les voyages inopportuns, les projets dépassant leurs moyens de réalisation, les pensions exorbitantes accordées à un nombre infime de courtisans aveugles constituaient la principale source de dépenses. L’administration des finances était placée sous la règle de l’arbitraire ; les avantages étaient distribués au détriment du trésor public avec le seul but de favoriser qui l’on voulait. N’importe quel individu digne de l’ex-Duc Braschi pouvait y avoir sa part ; il suffisait de transformer l’intérêt public en avantage privé.
5. Ni le mérite, ni la vertu n’y pouvaient rien. Le succès appartenait aux inconséquents, aux vicieux, aux incapables. Les authentiques gens de lettres furent laissés à l’abandon, et seuls furent estimés les bouffons qui, dissimulant sous les apparences de la piété leurs ambitions personnelles, servaient le pouvoir. Victimes eux-mêmes d’une malfaisante ignorance, ils la transmettaient aux autres afin de les égarer. Je n’en dirai pas plus sur ce point car il me faudrait citer des noms, et je n’aime pas en arriver là.
6. On pourrait apporter encore de nombreuses preuves du despotisme qui régnait alors. Mais j’en ai assez dit, et je préfère passer à la nature même de ce système de gouvernement.
7. Dans ce système, personne ne changeait de charge sans être riche et sans en avoir déjà occupé une autre. Il n’y avait aucune frontière entre le spirituel et le temporel ; ainsi on voyait très souvent un prélat passer d’un seul coup d’une charge spirituelle à une temporelle pour laquelle il n’avait pas la moindre compétence. L’armée, la police, le commerce, la justice, et les autres préfectures pouvaient être confiés à des incapables. Il en allait de même du Concile, de l’Inquisition, des Rites, de la Propaganda ; et ils se mettaient à étudier la théologie dont la plupart ignoraient jusqu’au nom. Le plus beau, c’est que dès qu’ils avaient acquis les rudiments du métier, on les élevait à la pourpre cardinalice et ils partaient, de sorte qu’un nouvel incapable occupait leur fonction. Et s’ils étaient envoyés comme Nonce apostolique dans les cours étrangères, le caractère ecclésiastique de leur fonction était bien vite oublié, car il importait d’abord qu’ils sachent donner des déjeuners et des dîners et nullement qu’ils assument la dignité de leur état ou qu’ils édifient par leur sagesse.
8. Ce n’est pas tout. Il régnait en tout lieu une incurie si générale qu’elle pouvait, soit dit sans exagération, servir à se former une idée de l’infini. Tout ceci a porté à son comble la ruine de l’État. L’Annona, vivant aux crochets de la Chambre, participait à ce système de gouvernement ruineux ; on achetait à vingt pour revendre à huit. La prolifération des surintendants des travaux publics, des manufactures, des routes entrainait d’énormes coûts salariaux. Des privilèges appauvrissant les travailleurs et enrichissant les fainéants faisaient aussi parti du système. Tout cela exprimait la nature despotique de ce gouvernement opposé à la recherche du bien général de la société.
9. Revenons à ceux qui gouvernaient. Dans les derniers temps, la misère se répandait et personne ne voulait en entendre parler. Il fallait seulement dire que tout allait bien, même si tout allait de mal en pis. Il suffisait de dire la vérité pour être frappé d’indignité apostolique. Tel était le principal motif de l’inquiétude que l’on observait chez quelques ministres. L’économie ne devait pas être mentionnée, pas même lorsqu’il aurait fallu agir de toute urgence. Les vertus sociales de l’humanité, reposant sur une sensibilité raffinée, la bienfaisance, la libéralité, l’indulgence et la compassion pour les sujets étaient niées et bannies du Trône. Les charges ne furent plus attribuées qu’en récompense d’une idée bizarre, à cause d’une recommandation ou par calcul.
10. Les cardinaux, ce corps respectable et responsable du pouvoir temporel, chargés de représenter l’ensemble des membres de l’État et par conséquent la nation entière, voyaient tout et se taisaient. C’était leur devoir le plus impérieux d’émettre de justes remontrances, mais ils en étaient empêchés par une politique vile et sacrilège et préféraient sacrifier les sujets qu’ouvrir la bouche. Aucun, par calcul, ne voulait encourir la disgrâce du Pontife, et c’est ainsi que, chaque jour, le despotisme s’étendait, despotisme dont la nature pontificale augmentait l’âpreté, le rendant encore plus incapable de se réformer, car en opposant la religion à toute critique, il s’abritait derrière cette caution. À cause de ces stratagèmes, le peuple en était réduit à se résoudre à n’être que le jouet des caprices de son souverain.
11. Et si quelqu’un, peinant sous l’énorme poids qui l’écrasait, tentait de secouer ce joug, un jubilé venait tout guérir de sorte que, sous le prétexte de la sainteté, il se laissait remettre en cage. Tels étaient les remèdes apportés aux maux publics. La prière est une sainte et bonne chose. Mais ce n’était pas au peuple de se convertir, ni de s’amender, c’était à son gouvernement de le faire. Or ce dernier, au lieu de penser à de bonnes réformes, a continué sur la même voie et de pire en pire.
12. Le despotisme n’était-il pas manifeste et indiscutable ? Il était donc juste qu’il fût détrôné et que l’on en finisse pour ne pas assister à une décadence totale. L’on pourrait dire avec raison que l’on subissait une authentique anarchie, sous les assauts des caprices et des calculs, en l’absence d’une législation claire et impartiale. Il fallait donc s’en doter et expulser un gouvernement inexistant. Le peuple avait autrefois chassé les Exarques et s’était donné des papes vertueux. Pourquoi le peuple romain, afin de recouvrer ses droits, en aurait-il usé autrement avec le pape actuel, qui l’avait éloigné du bonheur ?
13. Il faut l’avouer, tous les hommes sages le désiraient : c’était l’unique remède au malheur immense qui vous écrasait, mais la force nécessaire faisait défaut, car cette vertu elle aussi avait été retournée contre le bien public, tel un farouche ennemi. Le bon sens commandait de ne rien tenter. Mais quelques grands hommes ont su trouver le courage nécessaire, avant tous les autres, pour redresser les droits piétinés ; ils sont vainqueurs. La raison et la prudence se sont donné la main. Le peuple romain est hautement justifié. Dieu lui-même, qui refuse le despotisme, lui donne son concours et son approbation, comme il le fit lorsqu’Israël, qui s’opposait à Roboam, réclamant par la voix du peuple qu’il adoucît son pouvoir, ce dernier n’ayant pris que des conseillers inexpérimentés, avait été chassé du trône. Il avait voulu se rétablir mais Dieu, par la voix de Semeia[2], lui avait dit qu’il n’en devait rien faire, car cette déchéance était son œuvre. Nous n’avons entendu la voix d’aucun prophète, mais nous ne devons attendre aucun miracle. Qu’il nous suffise de savoir que Dieu, parce qu’il veut le bonheur du peuple, désapprouve la tyrannie.
14. Citoyens, face à ces sacro-saintes vérités, ne vous laissez pas abuser par le fanatisme des uns ou des autres. Écoutez la voix de la raison et celle de l’autorité divine qui vous protègent et vous guident. Ce ne sont ni l’ambition ni une quelconque passion qui ont opéré ce changement ; vous avez recouvré le bonheur que vous aviez perdu. Si vous n’en jouissez pas encore pleinement, c’est parce que le précédent gouvernement vous a dépourvu de tout. Le nouveau gouvernement s’applique à y pourvoir d’une main bienveillante, car il se soucie véritablement de votre bien.
XVI. La vraie idée de liberté
1. Nous avons, à plusieurs reprises, parlé de la liberté, ainsi que des troisièmes, quatrièmes et cinquièmes droits naturels à partir desquels l’on peut s’en faire une idée juste. Pour notre plus grand malheur, nombreux sont ceux que ce mot choque et qui se croient autorisés à mentir aux plus simples à ce sujet. D’autres en abusent, estimant que tout leur est permis, au détriment de la raison ou des lois. À l’issue de ce catéchisme, nous aurons fait honte aux premiers et corrigé les seconds. Tel est l’objet du présent chapitre.
2. Dès la naissance, l’homme entre en relations avec ses semblables, et de ces rapports dérivent les droits et les devoirs réciproques. D’où il découle qu’aucun individu ne saurait être totalement ni parfaitement indépendant. Cette indépendance totale est une chimère qui n’a jamais pu former la substance de l’homme. Il en ressort qu’il lui faut constamment discerner où se trouve la véritable liberté.
3. Mais quelle serait alors cette véritable liberté ? Ce n’est rien d’autre que de pouvoir faire, tout en cherchant son propre bonheur, ce qui peut concilier la nature humaine et la vie en société. Il convient de le redire : la liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à faire notre devoir et à s’interdire ce que l’on ne doit pas désirer.
4. Par conséquent, si nous commettons, sous le prétexte que nous sommes libres, des actes contraires aux lois de la nature ou de la raison, et donc nuisibles à l’intérêt public, nous agissons comme des fous, ce que nos concitoyens ne sauraient tolérer, et qu’ils devraient réprimer dans l’intérêt commun. Car, en pareil cas, nous faisons ce qui ne devrait pas être désiré.
5. Mais il n’en est pas moins vrai que si la loi interdisait ce qu’exigent la nature, la raison et le bien public, ce serait une loi injuste, tyrannique, cruelle, une loi abusive puisqu’elle n’agirait pas en faveur du bien public et, de ce fait, porterait atteinte à la liberté de faire ce que le devoir nous commande.
6. Il est aussi évident que le bien public, et non pas le bien individuel ou d’une partie de la société, dépend du juste rapport, de la balance entre les libertés de chacun. Les individus, s’étant regroupés en société, renoncent de ce fait à une indépendance sans limites, laquelle détruirait l’objet qui résulte de leur regroupement. En revanche, tout en acceptant de faire le sacrifice d’une indépendance nuisible, personne ne doit renoncer à tout faire pour trouver le bonheur et la sécurité, à condition de ne pas empiéter sur ceux d’autrui.
7. Gardez-vous donc de confondre la véritable liberté sociable et raisonnable avec un individualisme incompatible avec l’ordre des choses, ou avec une licence délétère. Seule la première constitue un droit naturel inaliénable, que l’on ne peut nous ôter que par l’injustice ou la violence.
8. De tout cela il ressort évidemment que la liberté, pour être un droit véritable, doit être fondée sur la raison et la vertu. La liberté prétendue de certaines nations, parce qu’elle ne repose pas solidement sur les bonnes mœurs et la vertu, engendre le désordre, car les passions y sont sans frein. La liberté se perpétuera si l’on observe la justice et si l’on respecte les lois destinées à établir des limites à l’autorité des gouvernants et à celles des sujets. Obéir à des lois sages, voilà le plus grand bonheur que puisse désirer un citoyen. Une liberté déraisonnable est un fléau dévastateur.
9. L’on comprendra facilement que, sans une liberté ainsi conçue, il ne peut y avoir ni paix, ni sécurité, ni bonheur et, par conséquent, nulle patrie. Cette liberté n’est rien d’autre que l’amour bien compris de nous-mêmes, lequel nous pousse à aimer le gouvernement qui nous protège, les lois qui prennent soin de notre personne et de nos biens, et la société qui œuvre pour pérenniser notre bonheur. Et, puisque la liberté seule peut nous procurer de pareils avantages, il est évident qu’il ne peut y avoir de patrie sans une telle liberté.
10. Je voudrais, maintenant, que se montrent ces auteurs atrabilaires, ces ennemis de l’humanité, ces ministres du culte ignorant leurs devoirs et l’esprit de la Révélation, qui osent calomnier les républicains, les dépeignent comme des libertins, au motif unique que l’on peut lire sur leurs lèvres le mot sacré de liberté. Je voudrais que comparussent ceux qui souillent de leurs licences et de leurs iniquités ce droit naturel inaliénable. Tous apprendraient à le respecter comme il convient. Veillez, Citoyens, à ce que personne ne discrédite à vos yeux ce mot consacré par la raison et par la religion : liberté ! Battez-vous avec le plus grand courage contre tous ses contempteurs. Que leurs discours ne vous abusent pas, eux qui se faufilent comme des serpents pour vous tromper et faire peser encore une fois sur vos épaules l’ancien joug sacerdotal.
Conclusion
1. Voici, Citoyens, le résumé de toutes les vérités qu’il vous faut connaître afin de conserver tous les droits qui vous ont été jusque-là contestés par la tyrannie. Il vous reste à vous y appliquer avec sérieux. J’ai tout disposé dans l’ordre le plus exact, avec toute la clarté possible. Devrais-je craindre que vous ne me fassiez point l’honneur d’une lecture attentive ? Votre propre intérêt le réclame, autant que celui de la société. La patrie le veut, l’amour de la félicité l’exige impérativement. Écoutez la voix de toutes ces idées qui s’adressent à vos cœurs et suivez-les là où elles vous entrainent.
2. Ce sont elles qui m’ont poussé à vous donner cette instruction. Je suis républicain et, de la République, je dois promouvoir les maximes, les clarifier, les laver des outrages de leurs ennemis. J’espère y être parvenu, et que ce soit une preuve authentique de mon zèle pour la naissante République, pour son rétablissement, son essor et sa gloire.
[1] Guiseppe Tamagna, (1747-1798), théologien franciscain, auteur d’Origini e prerogative de cardinali della SRC, publié par Gioachino Pucinelli (Roma, 1790). Luigi Cuccagni, (1740-1798), prêtre, écrivain et journaliste, dirigea le Giornale ecclesiastico dont le fondateur était l’abbé Giovanni Marchetti, qui défendait le pouvoir temporel du pape dans la lignée antijanséniste et hostile aux Lumières des jésuites.
[2] « Séméia, Prophète du Seigneur, fut envoyé à Roboam, roi de Juda pour lui dire de la part de Dieu : Voici ce que dit le Seigneur : Vous ne vous mettrez point en campagne, et vous ne ferez point la guerre aux enfants d’Israël, qui sont vos frères. Que chacun retourne à sa maison; car c’est moi qui ai séparé Israël de Juda. Ils écoutèrent la parole du Seigneur; et les cent quatre-vingt mille hommes que Roboam avait rassemblés pour combattre Jéroboam, s’en retournèrent, selon l’ordre du Seigneur. » (1 Rois XII, 20,25)
Yves Cattin, « Autorité et pouvoir selon Thomas d’Aquin », in Emmanuel Cattin, Laurent Jaffro et Alain Petit (dir.), Figures du théologico-politique, Paris, Vrin, 1999, p. 25-40.
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Luciano Guerci, « Les Catéchismes républicains en Italie (1796-1799) », dans Jean-Charles Buttier et Émilie Delivré (dir.), La Révolution française. Les catéchismes républicains, 2009/1 [en ligne].
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Pierre Serna (dir.), Républiques sœurs. Le Directoire et la Révolution atlantique, Rennes, PUR, 2009.
Francesco Maria Bottazzi, Catéchisme républicain. Vérités élémentaires sur les droits de l’Homme, [Rome, 1798], présenté et traduit par Bernard Patary, in Olivier Christin et Alexandre Frondizi (dir.), Bibliothèque numérique du projet Républicanismes méridionaux, UniNe/FNS, 28 janvier 2021, Url : https://unine.ch/republicanism/home/bibnum/catechismes/6.html
Projet Lauréat PSL-Columbia 2018 :