EA 7347 HISTARA

Histoire de l’art,

des représentations et de

l’administration en europe

Une œuvre de la Bibliothèque Républicaine Numérique

José González Alegre y Álvarez
La propagande
Catéchisme démocratique : droits et devoirs du citoyen
Oviedo, 1868
Présenté par Hernán Rodríguez Vargas - Traduit par Alexandre Frondizi
Bibliographie

Fermín Canella y Secades, El libro de Oviedo, guía de la Ciudad y su Concejo, Oviedo, Vicente de Brid, 1887.

Juan Crespo Carbonero, Democratización y reforma social en Adolfo A. Buylla: economía, derecho, pedagogía, ética e historia social, Oviedo, Universidad de Oviedo, 1998.

Ángel Duarte, El Republicanismo como pasión política, Madrid, Cátedra, 2013.

Albert García-Balaña, « À la recherche du Sexenio Democrático (1868-1874) dans l’Espagne contemporaine. Chromonymies, politiques de l’histoire et historiographies », Revue d’histoire du xixe siècle, 2016/1, n°52, p. 81-101.

Eduardo González Calleja, Política y Violencia en la España Contemporánea. Del dos de Mayo al Primero de Mayo (1808-1903), Madrid, Akal, 2020.

Román Miguel González, La Pasión Revolucionaria. Culturas políticas republicanas y movilización popular en la España del siglo XIX, Madrid, CEPC, 2007.

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Florencia Peyrou, « Los orígenes del federalismo en España: del liberalismo al republicanismo, 1808-1868 », Espacio, Tiempo y Forma, Serie V, Historia Contemporánea, 2010, n° 22, p. 257-278.

Florencia Peyrou, « ¿Voto o barricada?, Ciudadanía y revolución en el movimiento demo-republicano del periodo de Isabel II », Ayer, 2008, n° 70, p. 171-198.

José Antonio Piqueras, « Detrás de la política. República y federación en el proceso revolucionario español », en Id. et Manuel Chust (dir.), Republicanos y repúblicas en España, Madrid, Siglo XXI, 1996, p. 1-43.

Placido Prada Álvarez. Oviedo, historia de una familia: los González Alegre, Asturias, RIDEA, 2019.

Sergio Sánchez Collantes, “La construcción simbólica del republicanismo español en el Sexenio Democrático”, Investigaciones Históricas. Época moderna y contemporánea, 2017 n° 37, p. 132-174.

Rafael Serrano García (dir.), España, 1868-1874: nuevos enfoques sobre el Sexenio Democrático, Valladolid, Junta de Castilla y León, 2002.

Lepoldo Tolivar Alas, Parlamento y universidad: los senadores por la Universidad de Oviedo, Oviedo, Universidad de Oviedo, 2019.

L’Oviédan José González de Alegre y Álvarez étudia le droit, puis fut professeur universitaire. Après avoir été élu maire en 1838 et en 1842, il fonda et dirigea entre 1862 et 1863 le journal La Joven Asturias. Lors de la révolution qui inaugure en 1868 le Sexenio democrático, il fut l’un des membres de la septembrina ovetense, junte révolutionnaire pour laquelle il « signa un manifeste sous le cri “À bas les Bourbons, vive la liberté, vive la souveraineté nationale” »[1]. À travers le Bulletin officiel des provinces d’Oviedo et son Catéchisme démocratique ici traduit et présenté, il réclama alors le suffrage universel, la liberté religieuse, la liberté d’enseignement et l’autonomie municipale. Cette activité politique et l’appartenance au Parti républicain démocratique fédéral le conduisirent en 1871 à briguer avec succès le mandat de député d’Oviedo. Il publia la même année les Diálogos populares, une pièce de théâtre dans laquelle les échanges entre Antonio et José, respectivement maître et élève d’une leçon républicaine, illustrent les thèses défendues dans le catéchisme, réaffirment les bienfaits du régime républicain et diffusent auprès d’un public élargi les discours et les pratiques des clubs et des associations :

« Antonio : Il est nécessaire et indispensable que notre parti donne, avec la foi et l’abnégation qui sont les siennes, une nouvelle et plus forte et efficace impulsion à sa propagande afin d’augmenter encore le nombre déjà respectable de républicains. Le grain, déjà prêt, n’attend que des bras pour le cueillir et l’enrichir.

José : Complètement : la propagande et l’organisation d’aujourd’hui sont le triomphe inévitable de demain.[2] »

Le coup d’État de 1874 mit un terme à l’expérience républicaine initiée en février 1873 ainsi qu’à l’expérience parlementaire d’Alegre y Álvarez. Deux ans plus, dans l’effort pour redonner corps au républicanisme espagnol, il rejoignit le Parti réformiste républicain de Nicolás Salmerón dont le programme approfondit les divergences avec Pi y Margall, Castelar et d’autres leaders du Parti républicain démocratique fédéral.

 

 

Le catéchisme de 1868, probablement écrit et lu clandestinement et classiquement structuré sous forme de questions et réponses, se compose d’une adresse au lecteur, d’une première partie sur les droits du citoyen et d’une seconde partie sur ses devoirs. Si le républicanisme n’est jamais explicite, l’explication des droits du citoyen montre que la critique de la monarchie et l’appel à des réformes correspondent aux idées défendues par le républicanisme espagnol et par la junte révolutionnaire d’Oviedo. Alors que d’autres catéchismes exigeaient au même moment la suppression de la monarchie et la proclamation de nouveaux principes démocratiques, celui d’Alegre y Álvarez pointait la contradiction entre la monarchie et le « principe fondamental du droit » selon lequel « tous les hommes sont égaux devant le droit », en laissant ainsi au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions.

Dans cette logique, avant de proposer la liberté religieuse, Alegre y Álvarez affirme que « la foi ne peut pas être attaquée et encore moins imposée » et que l’un des devoirs fondamentaux du citoyen est d’être un bon chrétien. Le catéchisme défend également la liberté de presse et d’enseignement, le droit à la sécurité individuelle, au travail, à l’industrie, au commerce et à la propriété ainsi que le droit d’association. Il exige l’abolition de la conscription, la réduction de l’armée permanente, le droit de pétition et, enfin, le suffrage universel en vertu des facultés naturelles et non d’un cens fondé sur la propriété et donc sur un « privilège ».

La seconde partie du catéchisme, qui articule ces droits aux devoirs du citoyen, insiste tout particulièrement sur l’importance d’une instruction entendue comme source essentielle de progrès et de régénération patriotique. Elle appelle aussi au remplacement de la conscription, « odieuse contribution du sang […] injuste et préjudiciable », par le volontariat. Elle s’achève par une définition de la démocratie comme « credo politique de tous les citoyens libres » et « cause de tous les peuples civilisés » qu’il faut sensibiliser grâce à l’éducation et à la promotion du républicanisme. C’est d’ailleurs pour « contribuer encore à la propagande plus que jamais nécessaire des idées démocratiques et à l’instruction du peuple, solide fondement du progrès social » qu’Alegre y Álvarez publie d’abord une obscure Cartilla del ciudadano, puis ce « catéchisme politique consacré à exposer les droits et les devoirs du citoyen » et, plus tard, les Dialogues populaires dont il a été plus haut question.

 

 


[1] Juan Crespo Carbonero, Democratización y reforma social en Adolfo A. Buylla: economía, derecho, pedagogía, ética e historia social, Oviedo, Universidad de Oviedo, 1998, p. 22.

[2] José González Alegre y Álvarez, Diálogos populares, Oviedo, De Brid y Regadera, p. 4.

ADRESSE AU LECTEUR

Vu l’intérêt reçu par ma modeste Cartilla del ciudadano et cherchant à contribuer encore à la propagande plus que jamais nécessaire des idées démocratiques et à l’instruction du peuple, solide fondement du progrès social, je publie ce Catéchisme politique consacré à exposer les droits et les devoirs du citoyen.

La connaissance de ces droits et devoirs intéresse tout le monde. Et, si par fortune j’arrive à apporter un rayon de lumière aux classes ouvrières, reléguées à l’oubli et à l’abandon par la réaction haineuse et odieuse, mère légitime et diligente de la misère et de l’ignorance, je serai entièrement satisfait et récompensé.

 

DROITS DU CITOYEN

Que doit-on entendre par droit ?

La faculté que tout homme possède de réaliser sa propre essence ou, ce qui revient au même, d’exprimer et développer ses forces physiques, intellectuelles et morales.

Où se situe la base ou la racine du droit ?

Dans la nature même de l’homme, dans sa conscience, dans sa pensée, dans son corps, dans sa personnalité.

Le droit existe-t-il chez tous les hommes ?

Oui, car tous ont une seule origine, possèdent des facultés identiques et doivent réaliser le même destin.

Les vieilles castes et distinctions sociales entre rois et vassaux, seigneurs et serfs, maîtres et esclaves n’ont-elles dès lors aucun fondement rationnel ?

Aucun. Ces absurdes et funestes classes, filles légitimes de la force et de la duperie, ont été nourries par l’ignorance de la populace et soutenues par la ruse et la cupidité.

Le droit divin des rois a-t-il également cette origine ?

Oui, puisque Dieu, en faisant de tous les hommes des frères, leur a donné le même droit d’être libres et souverains. Les rois, en s’érigeant en dieux, sont ainsi allés à l’encontre de la Providence et de la nature humaine. C’est pourquoi, avec la diffusion des Lumières, les rois de droit divin sont désormais des créations de la tyrannie infernale, des monstres d’arrogance et d’ambition.

Quel est alors le principe fondamental du droit ?

L’égalité : le droit puise ses racines en l’homme et, par conséquent, tous les hommes sont égaux devant le droit, puisque Dieu les a dotés de facultés identiques et que la loi naturelle et le christianisme sanctionnent l’unité d’origine et de destin.

Quel principe politique découle de la vérité axiomatique ou évidente que tous les hommes sont égaux devant le droit ?

L’égalité devant la loi.

En quoi consiste-elle ?

Cela signifie que l’ensemble des citoyens sont soumis aux mêmes lois et aux mêmes tribunaux.

Les fueros sont-ils donc contraires à la loi ?

Oui, car ces juridictions spéciales représentent des privilèges en faveur de certaines classes de la société. Le droit est un et égalpour tous les hommes et, par conséquent, la loi vouée à régir les relations communes doit être une et égale comme doit être un et égal le tribunal chargé de son application et son respect. Voilà ce que signifie le principe démocratique de l’unité de législation et de juridiction.

Quelle est la condition essentielle du droit ?

La liberté.

Pourquoi ?

Parce que la liberté est le moyen naturel d’exprimer et développer les facultés dont l’homme a été doté. La liberté est donc aussi nécessaire à l’existence humaine que l’espace, l’air et la lumière. L’homme sans liberté, mis dans l’incapacité d’être responsable, se dégrade et s’abîme.

Quelle est le premier droit primitif ou inaliénable du citoyen ?

Le droit d’entrer en relation avec Dieu, de l’adorer, d’implorer sa protection ou d’orienter toutes les actions vers Lui. Ou, en termes plus clairs, le droit d’être croyant et, dès lors, de choisir la foi et le culte les mieux adaptés à sa conscience.

Croyez-vous alors que la liberté religieuse doit être respectée par tous?

Oui, puisque la conscience est sacrée et que ses manifestations sont libres comme la foi dont elles sont filles.

Ne faudra-t-il pas pour autant interdire les cultes et les croyances qui, sans heurter la morale universelle, restent manifestement erronés ?

Jamais : la foi ne peut pas être attaquée et encore moins imposée. La force ne produit que des faux croyants, des abus et des excès.

De quels moyens les fidèles et les prêtres de notre religion – seule vraie religion – devront-ils alors se servir pour propager leur foi et augmenter le nombre de prosélytes et d’apôtres ?

De ceux qu’offre la liberté, qui sont les seuls moyens légitimes et efficaces : la parole, la persuasion et les bonnes œuvres.

Ces moyens réussiront-ils à faire triompher la vérité ?

Oui. L’homme aime la vérité, comme le bien, dès qu’il la connaît et il ne peut la connaître qu’en découvrant ses excellences. La violence et l’intolérance nuisent tant au sentiment qu’à la raison. Les fruits de cette dernière, spontanés comme les fruits de la foi, ne peuvent pousser et se reproduire que grâce au souffle céleste de la liberté. Jésus-Christ a jeté à terre les fausses idoles, détruit les fondements de la société païenne, et régénéré le monde en ouvrant une nouvelle ère salvatrice de progrès et de bonheur grâce au seul usage de la prédication et de l’exemple. Sa sainte et sublime doctrine a jusqu’ici été et sera encore le phare et l’espoir de l’humanité. Ses fidèles ont suivi la même conduite, préféré la voie des martyrs à celle des intolérants et des persécuteurs, et réussi à faire pousser partout les branches et les fruits rédempteurs et salutaires de l’arbre du christianisme.

Croyez-vous alors que la liberté de culte ne nuit pas à la vraie religion ?

Je le crois et je l’affirme. Que peut craindre la vérité dans sa lutte contre l’erreur ? La lumière, qui ne peut pas s’éteindre, brillera toujours dans les ténèbres et les dominera. Les vrais chrétiens, les prêtres fidèles, les fervents apôtres de la sainte doctrine de Jésus-Christ, loin de craindre la liberté, doivent la désirer car, grâce à elle, ils pourront purifier la foi, secouer l’influence pernicieuse du monopole, raviver les croyances, neutraliser les effets perfides de l’indifférentisme, convertir davantage d’égarés et étendre et consolider les déjà vastes domaines du Crucifié.

Existe-t-il des nations où cela se soit produit ou bien soit en train de se produire ?

Oui. Le christianisme se développe fortement en Angleterre et aux États-Unis, où règne la liberté. En France, depuis la fin de l’intolérance religieuse, qui est l’un des pires maux, les bonnes croyances ont acquis une vigueur croissante et le clergé catholique, qui s’était à la fin du siècle dernier fait surprendre par la Révolution à cause de l’indolence produite par le monopole, dispose actuellement d’immenses atouts en matière de culture et de vertu.

Quel est le deuxième droit du citoyen?                                                          

C’est celui qui a pour fondement et pour objet le développement de l’intelligence et la communication des idées.

En quoi consiste-t-il ?

Dans la faculté d’apprendre et d’enseigner, de parler et d’écrire.

Est-il opportun qu’un tel droit s’exerce librement ?

Oui car, grâce à ce droit, chaque individu peut développer son intelligence plus facilement. Et ce qui favorise les manifestations de la pensée et la diffusion des idées est toujours bénéfique.

Pourquoi ?

Parce que plus l’homme s’instruit, plus il s’élève, plus il s’écarte de l’obscurité de l’erreur, et plus il se rapproche de la lumière de la vérité.

La liberté d’enseignement et la liberté de presse sont-elles donc légitimes et peuvent-elles même être nécessaires ?

Elles peuvent non seulement l’être, mais elles l’ont été, elles le sont et elles le seront. En facilitant les moyens d’apprendre, la liberté d’enseignement met à la portée d’un plus grand nombre d’individus la nourriture de l’intelligence, c’est-à-dire l’instruction. Et cela ne peut que convenir à l’ensemble de la société, puisque le développement de la richesse et du bien-être est en lien direct avec l’instruction. La liberté de presse produit les mêmes résultats : non seulement elle sert à promouvoir la science, à diffuser les idées et à propager les connaissances, mais elle est aussi le meilleur bouclier du droit et des libertés publiques ainsi que la garantie la plus efficace et concrète pour la souveraineté et les intérêts du peuple. La publicité dissipe les erreurs, chasse les vices et dévoile les ruses de la tyrannie.

Quel est le troisième droit du citoyen?

La sécurité individuelle.

En quoi consiste-t-elle ?

Dans la prérogative naturelle qu’a l’homme de ne pas être malmené en sa personne, qui est inviolable par nature ou de droit.

Dans quels cas ne peut-on pas revendiquer ce droit ?

Dans le seul et unique cas où le citoyen commet un crime. Et cela dans le cadre strict de la loi et selon l’intervention légitime de l’autorité compétente.

Comment garantir la sécurité individuelle ?

Grâce à des lois qui, comme la Manifestación de l’ancienne constitution d’Aragon et l’Habeas Corpus anglais depuis 1688, sont adoptées pour interdire et punir l’emprisonnement arbitraire – qui ne résulte pas d’une procédure criminelle – et pour imposer aux juges l’obligation ferme de défendre la personne ou la liberté des prisonniers n’ayant pas commis de crime.

La sécurité individuelle protège-t-elle uniquement les personnes ?

Non. Elle comprend également l’inviolabilité du domicile et de la correspondance. La maison du citoyen doit toujours être respectée comme un temple dédié à cette fleur de la vie et ce premier et dernier refuge de l’existence qu’est la famille. C’est la raison pour laquelle ceux qui la profanent sont soit des voleurs professionnels, soit de misérables agents de la tyrannie. La correspondance est, comme le foyer domestique, inviolable puisque ses secrets, qui bénéficient du caractère sacré de la pensée et de la conscience, ne relèvent que des domaines de la confiance et de l’affection.

Quel est le quatrième droit du citoyen?

Le droit de travailler librement et de choisir l’industrie, la profession ou le commerce pour lequel chacun se considère le plus apte.

L’exercice de ce droit est-il légitime et nécessaire ?

Il l’est indéniablement. L’homme étant contraint de gagner son pain à la sueur de son front, il ne peut remplir cette incontournable fonction que s’il est maître de disposer librement de ses forces et de les appliquer au type de travail qui pourra lui fournir les meilleurs moyens de satisfaire ses besoins. L’homme a donc le droit d’exercer l’industrie, la profession ou le commerce le mieux adapté à ses dispositions particulières. Aucun tort n’est alors fait à la société, puisque les diplômes seuls n’enfantent pas de la science et que personne n’aura recours aux professeurs n’ayant pas prouvé leur compétence devant le tribunal suprême et légitime de l’opinion publique. La tutelle exercée par les gouvernements sur les professions est par conséquent plus préjudiciable que bénéfique. Les gouvernements pourront à la limite délivrer des diplômes, mais ne pourront pas interdire ceux qui en seraient dépourvus d’exercer leur art ou leur profession.

Mais que se passera-t-il le jour où l’exercice des professions sera déclaré totalement libre, si dès aujourd’hui se multiplient par exemple les guérisseurs alors que la profession de médecin est réglementée ?

Il se passera ce qui arrive aux contrebandiers quand on supprime les douanes ou que l’on abaisse les tarifs imposés par le monopole. Le fait que la plus grande facilité de devenir médecin augmenterait leur nombre et rendrait inutile le métier de guérisseur si couru aujourd’hui montre, en définitive, la totale inefficacité du système actuel.

Faudra-t-il toutefois fixer des limites à l’exercice du travail, de l’industrie, des professions et du commerce ?

Uniquement les limites fixées par le droit de tous : la liberté doit être totale tant qu’elle ne porte pas préjudice aux autres. L’us pour tous, l’abus pour personne.

Quel autre droit, outre celui d’enseignement, découle de la liberté de travail d’industrie et de commerce ?

Le droit de propriété.

En quoi consiste-t-il ?

Dans la faculté que possède chaque citoyen à disposer librement de ses objets, de ses biens et de ses produits.

La propriété doit-elle alors être toujours respectée ?

Elle doit l’être autant que les personnes, puisque l’une et les autres sont intimement liées. La propriété est l’incarnation même des droits individuels.

Le prétendu droit au travail est-il compatible avec la propriété ?

Non, car soit ce prétendu droit est un mensonge, soit il signifie le pouvoir d’exiger du travail. Or, puisque personne n’a le devoir de rendre justice à ce droit, garantir son exercice reviendrait à violer directement ou indirectement la propriété. Et cela sans parler du désordre et des craintes qu’il provoque déjà. Le droit au travail est incompatible avec la liberté de tous.

Qui, alors, peut s’attaquer aux maux du chômage sans provoquer de désordre ni recourir à la violence ?

La prévoyance, l’épargne, les associations coopératives ou de secours mutuel et la bienfaisance.

Est-il vrai que la liberté de travailler et le droit individuel et inaliénable de choisir son métier sont incompatibles avec la conscription ?

C’est vrai : l’odieuse contribution du sang est injuste et préjudiciable. Elle force les jeunes à être soldats sans qu’ils aient vocation ni inclination pour le service militaire. Elle établit un privilège au profit de celui qui peut disposer de 8 000 réaux et viole ainsi le principe d’équité selon lequel chacun doit contribuer en fonction de ses ressources. Elle pèse spécialement sur les parents qui ont plusieurs fils et exempte ceux qui n’en possèdent aucun. Cette inégalité va à l’encontre du développement de la population : elle cause incessamment des blessures profondes au sein des familles en coupant court aux plus nobles sentiments et aux plus beaux espoirs ; elle ôte à l’agriculture, à l’industrie et aux arts des milliers d’intelligences et de bras robustes ; elle favorise la fainéantise, d’horribles mutilations, la traite des blancs, la misère, le désespoir et l’immoralité.

Comment faire alors pour remédier à ces maux si nombreux ?

En diminuant considérablement l’armée permanente, qui est l’un des plus gros maux de notre temps, et en récompensant comme il se doit la carrière des armes afin que l’armée ne se compose que de volontaires.

Quel est le cinquième droit du citoyen?

Le droit de réunion et d’association pacifiques.

En quoi consiste-t-il ?

Dans la faculté et l’attraction naturelle d’unir les pensées, les forces, les volontés et les intérêts pour atteindre un objectif commun.

Les réunions publiques sont-elles nécessaires et opportunes ?

Oui, puisque les citoyens peuvent grâce à elles exprimer leurs idées oralement et par écrit, affiner leurs jugements, unir leurs volontés. Cela est d’autant plus nécessaire et opportun qu’on exclut ainsi la violence et la tromperie. La lumière surgit de la discussion, et l’union fut et sera toujours la force du droit.

Le libre exercice du droit d’association est-il aussi nécessaire et opportun ?

Oui puisque, en se fondant sur le principe que tous les hommes ont besoin des autres et doivent tisser des liens entre eux, ce droit a pour objet d’harmoniser de manière permanente le travail, les forces, les intérêts, les affects et les aspirations. Cela n’est pas seulement juste, mais aussi utile et nécessaire. Ce qui est impossible pour un homme seul ou difficile et pénible pour deux ou quatre devient facile pour dix ou vingt et léger pour cent ou deux cents. Voilà pourquoi l’association spontanée et libre est sans aucun doute le plus puissant levier de la richesse et du bien-être. Et cela convient autant aux ouvriers qu’aux entrepreneurs, aussi bien à ceux qui disposent d’un réal qu’à ceux qui possèdent de grandes ressources. La libre association est la meilleure garantie de tous les intérêts et le génie protecteur des classes ouvrières.

Doit-on autoriser toutes les formes d’associations ?

Absolument toutes, sauf celles qui vont à l’encontre du droit commun ou qui offensent la morale publique.

Quel est le sixième droit du citoyen?

Le droit de pétition, qui consiste à soumettre des revendications aux autorités et au gouvernement, à réclamer l’adoption de mesures ou de réformes légitimes et opportunes, ou à protester contre l’injustice et contre certains abus.

L’exercice de ce droit est-il approprié ?

Oui, justement car il permet de satisfaire de justes réclamations et d’éclairer l’opinion sur des questions d’intérêt particulier ou public.

Quel est le septième droit du citoyen?

Le droit de suffrage, qui consiste dans la faculté d’intervenir dans le gouvernement ou d’élire ceux qui doivent représenter le peuple au sein des conseils municipaux, des assemblées provinciales ou des Cortès.

À qui revient l’exercice de ce droit ?

À tous les citoyens qui, jouissant de leurs facultés naturelles, contribuent à assumer les charges de l’État.

Le cens établi par certains partis est-il donc illégitime ?

Absolument. Le cens, c’est-à-dire le droit de vote fondé sur la propriété, se fonde sur le privilège. Or, les privilèges sont toujours injustes et odieux. Le travail, l’honnêteté et le savoir sont aux yeux de la justice et de la morale bien supérieurs aux biens de la fortune. Il n’existe dès lors aucune raison pour préférer les seconds. Les lois sont faites pour réguler les relations communes et le gouvernement représente les intérêts de tous. Tous ont donc le droit de voter et de participer au gouvernement.

Quelles sont les limites naturelles de ce droit ?

Celles que la liberté, la justice, la tolérance et l’ordre imposent à tous les droits.

Le citoyen peut-il s’aliéner les droits individuels précités ?

Jamais. Ces droits naissent avec l’homme et personne ni aucune raison ne peut les séparer de sa nature. L’homme se lie à Dieu ; il cultive son intelligence ; il parle, écrit et publie ses pensées ; il est ouvrier, professeur, industriel et commerçant ; il se réunit et s’associe ; il formule des pétitions et nomme ses représentants en vertu d’un droit propre, particulier, individuel, inséparable de sa personnalité.

Ne peut-on alors pas légiférer sur les droits individuels ?

En aucun cas. La société, les lois et les gouvernements ont justement pour objet de garantir les droits individuels, de protéger l’exercice de la liberté de tous, d’administrer la justice et de conserver l’ordre et l’intégrité des droits communs.

 

DEVOIRS DU CITOYEN

Qu’est-ce que devoir ?

La nécessité morale qu’a l’homme de diriger ses actions vers le bien par le biais de la liberté et l’ordre. Ou, en d’autres termes, l’obligation d’exercer correctement ses droits et de respecter ceux des autres.

D’où provient le devoir ?

De la nature même de l’homme, de sa propre conscience et de sa propre activité.

Le droit et le devoir sont-ils antithétiques ou ennemis ?

Au contraire : ils naissent ensemble et ne peuvent pas se séparer ; ils sont corrélatifs, l’avers et le revers, les deux faces d’une même monnaie. C’est pourquoi il n’y pas de droit sans devoir ni de devoir sans droit.

Quel est le premier devoir du citoyen ?

D’être croyant ou religieux, c’est-à-dire de vénérer et de se lier à Dieu à travers la foi et le culte qui conviennent le mieux à sa conscience, et de pratiquer la charité ou faire pour les autres ce qu’il aimerait que les autres fassent pour lui. Celui qui ne vénère pas Dieu est un insensé ; celui qui n’aime pas son prochain est un misérable.

Quel est le deuxième devoir du citoyen ?

Conserver son corps, en fuyant le vice ; cultiver son intelligence par l’instruction ; fortifier sa volonté avec des habitudes qui honorent la convenance et la dignité personnelle.

Pourquoi le citoyen doit-il fuir le vice ?

Parce que les vices rendent l’âme malade, exaspèrent les forces physiques ou corporelles, affaiblissent la volonté, rendent pauvre le capitaliste et misérable le travailleur, sèment les graines de la privation et de l’immoralité, préparent les citoyens et les peuples à la soumission au joug de la tyrannie.

Pourquoi le citoyen doit-il s’instruire ?

Parce que l’instruction étouffe les mauvais instincts, épanouit l’intelligence, fortifie l’activité, prête des secours nouveaux, puissants et croissants au travail, à l’industrie, aux arts et au commerce, écarte les superstitions, les impostures, le fanatisme et l’intolérance, ennoblit les citoyens et rend impossible le royaume du despotisme où les combines et les combats se forgent dans l’obscurantisme et les ténèbres de l’ignorance.

L’instruction est-elle si importante ?

Elle peut et elle doit être considérée comme le fondement le plus solide et permanent du progrès social, comme la meilleure garantie de la liberté, de l’ordre et du progrès.

Quel est le troisième devoir du citoyen ?

Le devoir de travailler, déjà impliqué dans les devoirs précédents.

Pourquoi ?

Parce que le travail est le moyen ou l’instrument naturel grâce auquel le citoyen peut répondre à ses besoins et à ceux de sa famille.

Les précautions qui existaient contre le travail et le travailleur n’ont-elles alors aucun fondement ?

Absolument aucun. Le travail est un besoin, une vertu et un principe de richesse, de satisfaction et de bien-être. Le travailleur est le modèle vivant de l’activité, de la force, du droit et du devoir.

Quel est le quatrième devoir du citoyen ?

Le devoir de respecter la personne, la liberté et les biens d’autrui. Celui qui menace la sécurité personnelle est toujours un criminel. Celui qui restreint la liberté ou l’exercice du droit réalise une grande injustice. Celui qui attaque d’une manière ou d’une autre la propriété commet un véritable crime et conspire contre la justice, la paix des familles et l’ordre social.

Comment appeler l’acte brutal de prendre la vie d’un homme ?

Homicide.

La société a-t-elle le droit de commettre des homicides ?

Jamais. La vie de l’homme est toujours inviolable et la société est, comme l’individu, tenue de la respecter. Si la société a le droit d’imposer des peines justes aux délinquants, elle se doit de respecter leur vie qui n’appartient qu’à Dieu.

Donc le devoir individuel et social refusent et condamnent la peine de mort ?

Oui, car la peine de mort est une réminiscence de la loi du Talion (œil pour œil, dent pour dent) qui se fonde sur l’esprit de la vengeance aveugle et contredit la justice et la morale. Celles-ci font du devoir de corriger le complément du droit de punir, et de l’action morale et de la souffrance de la conscience – plus sensible et influente que la souffrance physique – les compléments de la peine matérielle.

Quel nom donne-t-on à l’acte de priver l’individu de sa liberté individuelle ?

Esclavage.

Celui-ci se fonde-t-il sur un droit ou un devoir ?

Sur aucun. L’esclavage est un attentant flagrant contre la justice et contre la morale. Contre la justice, puisque les hommes étant par nature libres et égaux, personne n’a ni ne peut avoir l’autorité de priver l’autre de sa liberté personnelle. Contre la morale, puisque la charité ordonne de ne jamais abuser de la force et d’aimer toujours son prochain.

Sur quoi se fonde l’esclavage s’il ne peut pas se fonder sur la loi de justice ni sur la charité ?

Sur une grande iniquité, sur un monstrueux crime social contre lequel protestent ensemble la conscience et la raison, le Christianisme et le Progrès.

Est-il bon pour la liberté et pour le progrès que le citoyen respecte rigoureusement ce devoir ?

Sans aucun doute. L’homme qui n’est pas un bon fils, un bon époux, un bon père ne peut pas être un bon citoyen ni défendre avec dignité et persévérance la liberté et le progrès, qui sont des arbres qui vivent et s’épanouissent sur la terre fertile du travail, de la vertu et de l’instruction.

Quel est le sixième devoir du citoyen ?

Le devoir de se soumettre aux lois qui émanent des représentants de la souveraineté nationale, de respecter les autorités légitimement constituées, et de s’engager immédiatement dans la défense de la Liberté et de la Patrie.

La société ne peut exister sans lois et les autorités forment la principale garantie du droit et de l’ordre. La Liberté est la première patrie de l’homme et la Patrie est la mère commune, la famille de tous les citoyens.

De qui doit s’inspirer le citoyen pour exercer correctement ses droits et respecter fidèlement ses obligations ?

La Justice et la Charité.

Pourquoi ?

Parce que la Justice conseille toujours de donner à chacun ce qui est à lui. C’est la loi de la liberté, le lien naturel entre les intérêts, la meilleure et la plus permanente garantie de tous les droits.

Parce que là où règne la Charité ne peuvent exister l’égoïsme, le privilège, le monopole organisé, la misère et l’ignorance, agents préférés de la tyrannie.

Parce que la Justice et la Charité sont la vie, le soutien, la force et l’espoir de la Démocratie. Et la Démocratie est le credo politique de tous les citoyens libres, la cause de tous les peuples civilisés.

FIN

 

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